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L’art n’a pas de limite, n’a pas de fin et encore moins d’utilité pratique. Ce n’est plus à démontrer, la sensibilité dans l’art n’est que subjectivité, et la création balaie les dogmes et diktats d’un souffle intolérant et vertigineux. À l’art moderne succède l’art contemporain, cet obscur inconnu à la fois admiré et incompris, courtisé et rejeté.

 

Né après 1945, l’art contemporain est plus que toute autre création éminemment insaisissable : 1994, Balloon Dog de Jeff Koons, une immense sculpture représentant un chiot qui semble gonflé à l’hélium, une boite de ketchup Heinz peinte par Warhol en 1962, des toiles aux allures d’inachevés d’Antony Gormley en 2000… L’art contemporain repousse sans cesse ses limites. Mais en a t-il vraiment ?

En 1994, Yasmina Reza compose « Art », pièce phare de son œuvre qui rencontrera un succès international. Il faut tout d’abord vous imaginer un tableau blanc, entièrement blanc, avec des liserés blancs. Une toile donc, d’environ 1m60 sur 1m20, qui porte le nom d’Antrios.

Yvan (Pierre Arditi), Marc (Pierre Vaneck) et Serge (Fabrice Luchini) sont trois amis de longue date. Dans un décor très sobre et minimaliste, Serge présente à Marc sa nouvelle acquisition de quelques 41.000 euros (200.000 francs à l’époque). Sceptique sur l’art et sur bien d’autres choses, Marc se moque de l’achat couteux de son ami qu’il qualifie de simple « merde blanche ». Serge, amoureux d’art, est étonné de sa réaction, car lui voit dans cette toile quelque chose « d’évident et de paradoxal ». Yvan, le troisième protagoniste, apparaît relativement tolérant, et s’avoue même ému par les couleurs du tableau, au grand dam de Marc. Ne connaissant pas le domaine de l’art, il demande la côte du peintre pour juger du prix. Bien qu’il reconnaisse la beauté de l’oeuvre, il n’y mettrait pas ce prix.

Toute la pièce tourne ainsi autour de la sensibilité dans l »art, de la valeur d’une œuvre, du génie d’un artiste, et de l’absurdité que cela peut atteindre. Trois hommes représentent trois catégories de réactions face à l’art. Serge parle « d’une éducation à l’art », comme si le luxe d’apprécier ou non une œuvre n’était pas à la portée de tout le monde. Comme si l’art s’apprenait, se domestiquait. Le prix d’une œuvre n’est qu’un détail, c’est la réception qui fonde sa valeur. Pour lui, l’Antrios n’est pas blanc, mais bleu, rouge, jaune. Il voit plus loin que ce qu’il perçoit.

Marc, ingénieur et rationnel, blâme son ami de l’hypocrisie hideuse dont il fait preuve en achetant l’Antrios et critique sa volonté de faire partie d’une élite artistique snob et ignorante. Marc dénonce le piège de l’art et de l’argent, la pédante idée de se prendre pour un collectionneur, la suffisance de Serge à vouloir leur faire croire qu’il aime profondément son tableau. Yvan, salarié dans une épicerie, se distingue de ses deux compères par son milieu social plus modeste et s’écrase face à ses amis bourgeois et aisés, qui évoluent eux dans un cercle plus intellectuel que le sien. Il ne nie pas être sensible au tableau, et trouve séduisante la poésie qu’il y a dans le fait même d’acheter une oeuvre si sobre et si neutre. Il décrit une certaine idée, insaisissable mais bien réelle derrière la création de l’Antrios.

« Art » est une critique diffuse de l’art contemporain, et plus que tout de la beauté. Il y a une incompréhension profonde pour le prix si élevé d’une toile si simpliste. Cela voudrait-il dire que plus l’oeuvre est riche, plus sa valeur est grande ? Mais au final qu’est ce que la beauté ? Serge est amoureux de son tableau blanc dans lequel il voit une originalité sans précédent. Il parle même d’un chef-d’oeuvre conçu par un génie, une divinité qui s’élève au dessus des mortels. Le même débat encore et toujours sur la prépondérance de l’oeuvre ou de l’artiste. Si Picasso peignait un point bleu sur une toile blanche, le tableau aurait-il la même valeur que si n’importe qui en faisait de même ? Peut on considérer une toile blanche comme une création artistique à part entière, au même titre qu’un chef d’oeuvre intemporel de la peinture ?

Le débat est ouvert…

 

Photo à la Une © Christian Tiffet

 

 

 

Pour aller plus loin

Art @ Theatrart

 

 

 

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