Très rares sont les films ou documentaires qui réussissent à parler du milieu de la mode, de ses affres, de ses coutumes, sans que cela ne devienne pour autant une vitrine « pipol » et chic de quelque chose qui paraîtrait en fait pour le profane comme un milieu seulement vain et décérébré. « The September Issue » de R.J. Cutler est de ceux-ci…
« Lagerfeld Confidentiel », le documentaire sorti en 2006, et consacré à ce personnage illustre, avait déjà eu le mérite de donner un éclairage assez intéressant sur ce monde très codifié. Loic Prigent, son réalisateur, est celui qui en France a su le mieux parler de la mode et de son microcosme avec désinvolture, mais aussi avec respect et pédagogie, apportant un éclairage ultra pointu, sans en avoir l’air, sur ce qu’est vraiment la mode.
Ici, avec « The September Issue », le film de R.J. Cutler, on nous parle surtout de la création de A à Z d’un numéro du Vogue Américain. Celui qui sort en septembre, en fait, soit le plus important, le plus attendu des numéros de l’année du magazine le plus emblématique de la mode internationale. Anna Wintour, sa rédactrice en chef, qui depuis des lustres fait exister et surtout vendre ce magazine, sorte de baromètre des tendances mondiales, check-up froid du grand corps de la mode, s’y montre telle qu’elle est.
Ce qui frappe surtout, c’est que ce film ne cherche nullement à rendre encore plus glamour ce milieu. Non, on dirait plutôt qu’il est conçu avant tout pour ceux qui aiment la mode et qui la font. Incroyablement technique et bourré de détails sur la mise en boite de ce fameux numéro de Vogue, « The September Issue » nous en montre réellement les coulisses, et nous dévoile tout le process de création et de conception du magazine.
On pense bien sûr à « Le Diable s’habille en Prada ». Mais ici, on décortique uniquement le fonctionnement de cette machinerie. Cette petite femme austère, qui parfois tente d’arrondir son image avec un trait d’humour qui glace encore plus son auditoire, reste une professionnelle absolue qui connaît tout sur tout à la mode, aux tissus, aux motifs, aux couleurs, mais aussi aux mannequins, photographes, stylistes et créateurs… Saisissant de la voir intimider à ce point tous les grands noms de la profession, voire d’influencer jusqu’aux collections en cours ou même futures. On apprend ainsi son aversion pour le noir, et lui préférer la couleur et les motifs. Ironique quand on sait un tant soit peu que dans ce milieu de la mode et de la branchitude, le noir a toujours été le passeport absolu. Mais forte de ses propres goûts et d’un flair presque extralucide, la femme aux grosses lunettes noires et à la coupe de cheveux au carré sait toujours ce qu’il faut voir. Et l’enjeu est de taille tant ce magazine brasse des chiffres mirobolants.
Pour tout cela, ce film peut laisser pas mal de spectateurs même un peu « modeux » sur le côté, car il se veut à l’image de son personnage central : précis, pointu et exigeant.
Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images