C’est acté, confirmé, tamponné, on peut le dire aujourd’hui, la reprise de la licence Star Wars par Disney s’est soldée au cinéma par ce gâchis manifeste que nous connaissons. C’est en effet dans la précipitation et le souci de récupérer au plus vite les quatre milliards consentis à George Lucas pour acheter son bébé cosmique, que la firme aux grandes oreilles met en chantier une nouvelle trilogie dès 2013, juste après la coûteuse acquisition, et sans tenir compte pour autant du fameux adage : « il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ».
En ne prenant absolument aucun risque avec le matériau de base et afin de rallier à sa cause un maximum d’adeptes, on lisse au maximum, on ripoline, on ponce, pour que rien ne dépasse et que ces nouveaux épisodes soient en parfaite cohérence avec l’état d’esprit du moment. Ainsi, tous les choix artistiques et scénaristiques qui sont faits vont certes permettre à l’Episode VII (le premier épisode de cette nouvelle trilogie) de casser la baraque (à frites) lors de sa sortie, mais vont en revanche déboucher sur la gabegie des deux épisodes suivants.
Car en fait, rien n’a jamais été maîtrisé dans cette histoire. L’Episode VIII contredit tout ce que son prédécesseur a cherché à déployer et l’Episode IX, quant à lui, tente désespérément de rattraper les aberrations de l’épisode précédent. Au final, on secoue tout ça et on obtient une nouvelle trilogie qui ne raconte rien, qui n’aboutit à rien et qui laisse dans son sillage un fumet nébuleux qui peut presque évoquer le pet contrarié. Et « sploutch » fit le bateau qui coule…
Car le constat est bel et bien sans appel. Entre l’ennui poli de la presse et de quelques aficionados circonspects ou l’hystérie collective de tous les autres fans, se sentant une fois de plus trahis, bafoués, floués, sodom… (non quand même pas…), ces nouveaux Star Wars, loin des étoiles, mangent le bitume.
Mais c’est mal connaître la souris obèse, gavée aux stéroïdes et divers anabolisants. En réaction à cette Bérézina, cette dernière dégaine en amont une série destinée à sa propre chaîne Disney+. Un programme qui promet de renouer avec l’esprit d’antan, ce fameux côté « Western » que certains aiment évoquer afin de définir la fable de George Lucas… Et c’est exaspérant.
Tandis qu’au cinéma, les différentes tentatives (ersatz) et divers spin-off qui suivirent dans le sillage des trois épisodes de la nouvelle trilogie furent globalement conchiés, hormis peut-être « Rogue One », qui reste à ce jour le succédané préféré de toute cette nouvelle génération de films sans George Lucas aux manettes, « The Mandalorian », produit pour la chaîne de Mickey, va très rapidement prendre son envol et réussir à empapaouter les plus revêches des idolâtres, et même les plus hardcore. La magie (noire…) Disney a encore fonctionné…
Toujours dans ce souci d’essorer jusqu’à la corde le moindre élément, personnage ou intrigue parallèle qui se rattacheraient à l’univers spatial, les studios ont dès le départ projeté de faire figurer à l’écran chaque personnage emblématique de la saga originelle. l’Episode VII cartonne, « Rogue One » marche très bien, il n’y a donc aucune raison que cela ne dure pas. Les executives semblent avoir le Mojo… Mais après le tollé contre « Le Dernier Jedi », et ce malgré ses excellents chiffres, c’est « Solo », le deuxième spin-off, qui trinque en se prenant méchamment le caniveau. En même temps, il faut admettre que ce film n’est franchement pas très bon…
Branle-bas de combat, Disney va devoir sérieusement revoir la stratégie de gavage d’oies qu’elle avait mise en place, s’appuyant en principe sur la sortie d’un film par an. Pour ceux qui ne sont pas au fait de la nomenclature de la saga vieille de plus de quarante ans, il faut savoir que l’univers de George Lucas est si vaste que l’on peut sans problème imaginer pouvoir en exploiter le moindre recoin, afin d’en tirer de nouvelles aventures, et ce pendant encore une bonne centaine d’années.
Mais la magie de « Star Wars » réside aussi dans l’attente. Avant, il fallait en général patienter trois bonnes années pour découvrir un nouvel opus dans les salles. En voulant désormais balancer du Star Wars à tout bout de champ, quitte à y proposer des histoires aussi peu innovantes, il y a forcément un risque de lassitude, voire même d’effondrement de l’édifice tout entier… Pourtant, « The Mandalorian » va s’évertuer à raviver cette flamme qu’entretenaient tous les déçus des pré et post-logies.
Premier constat après la fin de la première saison…
Conçue comme un tube de pommade géant, cette première salve d’épisodes live, en s’élevant sur les ruines de ce que fut une part de notre enfance, va n’avoir de cesse que de nous caresser dans le sens du poil. Un bout de décor, un robot, un nom ou une des nombreuses créatures aperçues quelques secondes auparavant dans l’univers classique de Star Wars et hop, ça fait la blague et ça permet surtout de donner la matière à un épisode entier.
Racoleuse telle une prostituée de la rue Saint-Denis, avant que tout le quartier ne s’embourgeoise, la série « The Mandalorian » va tenter de nous aguicher en brandissant de belles formes et de nombreuses promesses. Certes… Le public, conditionné sur plusieurs générations, en est arrivé à un tel niveau de fétichisme que c’est avec une facilité déconcertante que les scénaristes n’ont qu’à torcher vite fait bien fait sur un bout de nappe n’importe quelle intrigue digne d’un épisode de « Babylone Five », avec comme simple cahier des charges le principe de bourrer chaque épisode de tout ce qui avait servi dans les vieux « Star Wars » de l’époque. « Ah, je me souviens avant, c’était du latex, des maquettes et des décors en dur… C’était quand même autre chose ! », s’écrit le fan nostalgique et neurasthénique.
Oui, « The Mandalorian » va vous resservir exactement ce que vous avez commandé à Noël, poussant même la putasserie jusqu’à faire apparaître à un moment un véhicule jamais vu dans aucun des films « Star Wars », et créé uniquement pour être ensuite vendu comme jouet (un transporteur de troupe impériale)… C’est donc ça, « The Mandalorian », un coffre à jouets d’où vous ressortez vos figurines et vos vaisseaux spatiaux, pour faire mumuse ; « pzzzziiichw, pzzzziiichw, tuuuuvzzz, tuuuvzzz ! ».
Des scripts indigents, des péripéties tout droit sorties du cerveau d’un enfant en train de jouer dans sa chambre… On nous fait certes miroiter un semblant de cohérence dans le premier et les deux derniers épisodes, avec des morceaux de bravoure enthousiasmants, mais qui tombent hélas à plat, après que l’on se soit enquillé un long tunnel d’action et de péripéties forcées, archi-déjà vues et aussi captivantes que des séries des années 80. Tout n’est que remplissage et embouteillage de lieux communs.
Et sinon, « The Mandalorian », ça raconte quoi, au juste ?
Au départ, si tout se passait bien avec les productions pour le cinéma et si « Solo » se devait d’être en toute logique un carton au box office, il était également prévu que l’on mette en chantier un film consacré au célèbre chasseur de primes, Boba Fett, aperçu la première fois dans « L’Empire Contre-Attaque ». Mais vu l’accueil en salle pour le moins glacial du film « Solo », sur la genèse de notre vaurien préféré, les pontes de la firme, plus rats d’ailleurs que souris, ont finalement vite rétro-pédalé. Il en a d’ailleurs été de même pour un éventuel film sur Obi Wan Kenobi, qui lui aussi verra ses aventures narrées sur le petit écran.
A moins que…
Jon Favreau, d’abord acteur puis réalisateur et producteur, se revendique fan absolu de « Star Wars », un peu comme J.J. Abrams d’ailleurs, ou comme tous ceux qui s’approchent de cet objet et qui ont, à leur corps défendant, juré (voire craché par terre) avoir la sève « Star Wars » qui coule dans leur veine depuis toujours. Bref, Jon Favreau tente à son tour de mettre en image cette lointaine galaxie, tout en nous faisant croire qu’il connaît et comprend mieux que quiconque ce qu’est Star Wars.
Il va ainsi imaginer, cette fois-ci pour la télé, une mini-série, non pas autour de Boba Fett, mais de l’un de ses homologues casqué et résolument badass. Une totale création, puisque ce personnage n’apparaît nulle part ailleurs. Les fans sont sceptiques. Ils ne le seront pas longtemps. On leur promet de revenir aux fondamentaux, au Star Wars des origines, avec plein de sable et de poussière, et un petit plus en prime. Un supplément d’âme, peut-être ?
C’est bien le mot d’ordre qui semble pourtant s’imposer comme ultime gage de qualité, afin de rassurer à coup sûr les réfractaires, à chaque nouvelle tentative de ressusciter la magie d’antan ; « être fan » et « comprendre ce qu’est Star Wars »…
En effet, ce qui saute ici rapidement aux yeux, c’est le soin apporté aux détails, à la moindre référence, qui ne sert plus seulement de prétexte mais de vrai élément sociologique. Totalement immersif, avec le souci d’exploiter et de rendre tangible un écosystème, « The Mandalorian » peut parfois donner l’impression d’être tout bonnement un documentaire sur cette lointaine galaxie. En ne s’intéressant plus aux grandes figures de la saga, ces héros légendaires et les enjeux démiurgiques qui s’y rattachent, on se rapproche davantage d’une évocation de protagonistes moins ambitieux et de leurs petites existences insignifiantes. Admettons…
Il aurait pourtant été plus audacieux de confier la production de ces nouveaux projets, à savoir les films ou les séries produites pour la télé, à des réalisateurs peu ou prou spécialistes de la question. Cela aurait permis d’apporter un regard résolument neuf sur cette vieille franchise, avec de nouvelles idées, des concepts différents et d’autres directions. Cela aurait évité le sur-place, les redites et cette impression fâcheuse de voir encore et toujours le même film, avec les mêmes enjeux et les mêmes trucs de magicien essoufflé et bouffi… Or ici, la seule excuse exprimée, déguisée en fausse modestie, c’est que l’on ne nous servira pas cette fois de grandes figures au destin shakespearien, mais des protagonistes de « Plus Belle la Vie », mais dans les étoiles… Ok…
L’idée maîtresse de « The Mandalorian » ne va donc pas être de révolutionner Star Wars. Oh La La, non, surtout pas… Car encore une fois, il ne va falloir surtout prendre aucun risque et rester bien sage dans son coin.
Être Mandalorien ou ne pas être…
Le concept de ce programme se résume donc à évoquer un personnage totalement inédit, mais affichant un look fort reconnaissable, et qui évoluerait dans des décors au premier abord évidents, pour tous les orphelins en manque de Starwarzeries, tels des junkies en manque de crack.
Il va ainsi suffire aux scénaristes de tout bonnement recycler tout ce que l’on a vu auparavant, surtout dans la première trilogie et notamment sur la planète Tatouine. A savoir, des paysages désertiques, des Jawas, des hommes des sables et autres bars remplis de dangereuses créatures, le tout dans cette ambiance très « Western » qui n’est plus simplement appuyée, mais assénée au marteau-piqueur.
Affublé également d’un baby Yoda, une mignonnerie que tous rêvent de posséder en porte-clé, le héros, sorte de rônin tout droit sorti du manga « Baby Cart », dont il reprend également tous les codes, poursuit une quête dont on ne connaît toujours pas les tenants et les aboutissants, arrivé au terme de la première saison. Avec ce mini Yoda (idée cadeau imparable pour les prochains Noël), on rajoute artificiellement un enjeu aux protagonistes, qui sans but véritable, se traînent d’épisode en épisode. Enfin, « se traînent », zigzaguent plutôt, puisqu’entre une énième planète-forêt puis une planète de glace, nos héros reviennent sans arrêt sur Tatouine. L’imagination débordante des scénaristes atteint vite ses limites…
Quant aux premiers épisodes de la saisons 2, on nous en met plein les yeux, à grands coups de visuels et d’effets spéciaux. Tout est tellement léché qu’il ne manque pas une bandelette de cuir sur les masques des Tuskens (hommes des sables). Pourtant, une fois encore, malgré les somptueuses ballades dans ce monde familier et les scènes d’action qui vont à 200 à l’heure, tant au niveau du scénario que de l’intrigue principale, paradoxalement, on fait encore du sur-place.
Retour sur la genèse du projet
A l’origine, le chasseur de primes Boba Fett n’était pas censé devenir un personnage essentiel. Apparu dans « L’Empire Contre-Attaque », il devait juste servir de relais, malgré son look intrigant, pour finir par disparaître purement et simplement dans « Le Retour du Jedi ». Mais il est pourtant très vite devenu culte… Au point d’ailleurs qu’il revient successivement dans « L’Attaque des Clones » et « La Revanche des Sith », la prélogie de Lucas, dans laquelle sont évoquées ses origines comme le rôle prépondérant de son père, qui initiera la constitution d’une armée de clones, afin de servir les desseins du futur empereur Palpatine.
Bref, tout cela est tiré par les cheveux, certes, mais Lucas veut avant tout faire plaisir aux fans, en faisant de nouveau appel à ce personnage, dont l’aura et le mystère grandissent d’année en année…
Pour « The Mandalorian », on va donc découvrir un nouveau personnage, qui revêt le même accoutrement que son illustre homologue. Et on va en savoir un peu plus sur ce peuple et ses motivations, voué à l’art de la guerre et obéissant à une philosophie spartiate, où tout n’est qu’honneur et sacrifice. Fort bien…
L’histoire qui nous intéresse se situe dans le temps juste après la bataille d’Andor et la chute de l’Empire, soit entre « Le Retour du Jedi » (Episode VI) et « Le Réveil de la Force » (Episode VII), avec l’avènement de la nouvelle république. On peut tout de même regarder sans trop de déplaisir ce programme, où on nous plonge dans un bain amniotique. Tout ici est conçu pour nous plaire, nous autres, vieux nostalgiques de ces films que l’on a plus imaginés que réellement vus.
Mais reste que « The Mandalorian » est un objet mort, une dent dévitalisée. Au mieux, on a l’impression d’être dans un jeu vidéo, mais sans pouvoir pour autant y jouer, dans lequel le protagoniste avance de mission en mission, jusqu’au tableau suivant, avec toujours un « boss » à dégommer pour franchir le niveau. Chacun des épisodes est conçu de cette manière. Ça semble pourtant fonctionner, tant on entend partout que cette série est une pure réussite et s’avère finalement être exactement le Star Wars que l’on était en droit d’attendre. Soit…
Avec les bouleversements économiques liés à la Covid 19 et le marasme qui s’est abattu (entre autres) sur l’industrie du cinéma, là encore, Disney l’a joué fine, personnel et surtout en mode « après moi le déluge ». Disney a d’une part rapatrié sur sa chaîne, voire rendu disponibles en VOD, toutes ces productions initialement conçues pour le cinéma. Fort du succès de « The Mandalorian », le studio est en train de mettre un coup d’accélérateur à tous les futurs projets liés au concept « Star Wars », et ce uniquement pour le petit écran. Adieu, donc, les salles de cinéma. Quand on sait que Disney au cinéma, c’est 30 % du chiffre annuel global. Ouch, ça pique un peu…
Il est même question de démultiplier désormais le format feuilletonesque, ce qui ne devrait d’ailleurs pas choquer les puristes, puisqu’à l’origine, en créant « Star Wars », George Lucas souhaitait rendre hommage aux serials de son enfance (« Flash Gordon », entre autres), des programmes diffusés à la télévision, justement.
Oui, Star Wars va devenir un produit comme un autre, pas meilleur, pas pire que n’importe quelle série disponible sur une plateforme quelconque, que le spectateur va consommer placidement, sans trop se poser de questions. Finis, donc, l’événement, les recherches technologiques, les effets spéciaux inédits, l’exception, le sentiment d’assister à quelque chose de rare ou d’exclusif.
La science-fiction n’a pourtant pas complètement été sabordée, puisque les espoirs sont désormais placés ailleurs. On a d’abord eu, début octobre, sous la houlette de celui que l’on croyait fini, sénile même, Ridley Scott, « Raised by Wolves », sa série en dix épisodes, parfois inégaux mais pleins de promesses, de visuels, d’images hallucinantes et d’idées tant folles que stimulantes. Et puis, en 2021, on attend avec impatience « Fondation », une série adaptée des livres d’Isaac Azimov, que l’on peut voir comme le nouveau « Dune ». Ces séries cossues et spectaculaires viendront, on peut imaginer, rebattre les cartes, de par leur ambition et les enjeux qu’elles traitent.
En ce qui concerne notre amour immodéré, voire irrationnel, pour ce que George Lucas a créé et mis au monde depuis « La Guerre des Etoiles » en 1977, ce qui est sûr, c’est que face à autant de contradictions de la part des fans en général, il ne sert à rien d’espérer davantage désormais de cette franchise. Il faut juste se contenter de fantasmer Star Wars, tel un mirage, une malédiction dont on est tous devenu fous. Car oui, Star Wars, c’est le tonneau des Danaïdes…