La dépêche est tombée : Le tribunal de Grande Instance de Paris a prononcé la liquidation judiciaire du magazine français « TÊTU » créé en 1995 par Didier Lestrade (journaliste et écrivain, militant engagé dans la défense des droits des homosexuels et activiste dans la lutte contre le sida) et Pascal Loubet (co-fondateur de l’association Act-Up Paris en 1989).
Sur leur site officiel, la page du jeudi 23 juillet titre : « TÊTU, c’est fini… ». Personne n’aura pu jouer le rôle de sauveur, c’est à dire de repreneur, du journal en difficulté financière. D’abord destiné à la communauté gay et lesbienne, la variété des sujets et la qualité des articles lui ont permis de toucher un public beaucoup plus vaste. Pourtant, en 2007, le slogan « Magazine des gays et des lesbiennes » est abandonné et le mensuel devient plus gay que lesbien, sacrifiant ainsi une partie de son lectorat du début. Les couvertures mettent principalement en scène des hommes. En 2009, la rubrique consacrée aux filles disparaît à son tour complètement, donnant ainsi une nouvelle ligne éditoriale clairement masculine au magazine.
Aujourd’hui la communauté a un positionnement différent de celui des années 1980. Au départ, il s’agissait de reconnaissance, de combat pour l’égalité des droits, de santé publique et de liberté d’exister tel que l’on est. Les lecteurs des années 2015 ne se reconnaissaient plus dans un magazine jugé trop parisien et trop bobo : « Non, il ne suffit pas d’être homo pour avoir envie de lire ce mag. Oui on habite dans la capitale ou dans les grandes agglomérations, mais aussi dans les toutes petites villes et les villages. Non, on ne passe pas notre temps à bronzer et soulever de la fonte (…). On s’en fout du dernier coming-out de la star du moment. On a aussi des préoccupations plus terre-à-terre. On aime aussi les jeux vidéos, s’occuper du potager et le barbecue avec des potes devenus quadras comme nous. » commente Christian, internaute.
Les avancées sur les droits des homosexuels, le mariage pour tous, la reconnaissance du droit à la différence et l’affichage d’une sexualité décomplexée ont participé à la démobilisation du lectorat gay qui ne veut plus se faire remarquer pour être reconnu comme lors de la Gay Pride, mais veut au contraire se fondre dans la masse et ne plus se distinguer. Enfin, les réseaux sociaux de portée internationale ont fait de l’ombre à un organe papier hexagonal. Le nouveau combat, c’est le droit des homosexuels en Russie, en Afrique, au Moyen-Orient. « Pas de visibilité des minorités ethniques. Très bobo branchouille. TÊTU ne ciblait que la caricature de l’homo du Marais s’extasiant sur la mode. Il n’a pas su évoluer. Je me souviens de la réponse du staff quand je parlais de la visibilité black, me répondant que malheureusement ça faisait moins vendre… » écrit Gaëtan en commentaire sur le site du journal.
Beaucoup de lecteurs étaient abonnés depuis le tout premier numéro, en juillet 1995. D’abord par acte militant, puis par affection et fidélité. Ils étaient ainsi 33 000 par mois en moyenne à feuilleter le magazine qui reprenait le flambeau du « Gai Pied » lui-même disparu trois ans plus tôt (1979 – 1992). Des célébrités y ont fait leur coming-out, comme le chanteur Emmanuel Moire. D’autres ont accepté de parler longuement du sujet dans des entretiens, comme Muriel Robin. Jusqu’aux politiques qui trouvaient sans doute branché d’y étaler leur ouverture d’esprit pour se faire un peu de publicité (Lionel Jospin et jacques Chirac en 2002). Depuis, tous les candidats aux élections présidentielles sont passés par la case « TÊTU » ainsi que beaucoup de People. Catherine Deneuve, Valérie Lemercier, Diane Kruger, Jamel Debbouze, Mylène Farmer et quelques sportifs renommés feront la Une du journal.
Mais la ligne éditoriale a raté un tournant décisif. Elle n’a pas su voir le changement des attentes des lecteurs après la crise de 2008. « Je fais gaffe à mes petits sous, je fréquente plus Franprix que Colette, plus Primark que l’Avenue Montaigne ou les boutiques de Soho : je vous laisse imaginer le nombre de pages que je survolais » commente Guytou le Basque.
De TÊTU il faudra se rappeler le projet magnifique et courageux de deux militants il y a pile 20 ans. Un bien triste anniversaire, mais aussi, une si belle aventure !
Communiqué du site du jeudi 23 juillet