Nina Simone avait le talent pour être pianiste concertiste, elle est devenue la grande prêtresse de la soul. Elle ne chantait pas, elle accouchait, d’un chant, d’une parole.
Eunice Kathleen Waymon naît le 21 février 1933 à Tryon en Caroline du Nord. Les lois ségrégationnistes et racistes Jim Crow y sévissent encore. Petite-fille d’esclaves, Eunice a un don. Dès l’âge de trois ans, elle fait ses premières gammes au piano. A cinq ans, elle devient la pianiste attitrée de l’église de sa communauté où officie sa mère comme pasteur méthodiste. Si elle a bien du talent, il lui faut tout de même des cours professionnels. Ceux-ci seront finalement payés par la patronne de sa mère, qui l’emploie comme femme de ménage.
Le rêve d’Eunice se dessine alors : devenir la première concertiste noire des Etats-Unis. A 10 ans, tandis qu’elle donne son premier concert de piano, elle est rattrapée par la terrible réalité du racisme. Ses parents, installés au premier rang pour écouter leur fille, sont déplacés au fond de la salle pour laisser leurs places à des blancs. Mais la fillette refuse de jouer tant que ses parents ne pourront pas regagner leurs places.
« Le racisme est devenu pour moi réalité, comme si on avait allumé la lumière. » (Nina Simone, « I Put a Spell On You : The Autobiography of Nina Simone »)
A 17 ans, bien décidée à accomplir son rêve, la virtuose postule au Curtis Institute of Music, le prestigieux conservatoire de Philadelphie. Persuadée d’avoir réussi son audition, elle échoue finalement au concours d’entrée.
« Ils ne m’ont pas donné l’opportunité de commencer mes études de piano classique. Je fus refoulée simplement parce que j’étais noire. » (Nina Simone, archive Ina, octobre 1991)
La jeune femme quitte Philadelphie pour Atlantic City, où elle devient chanteuse dans un club de jazz. Pour ne pas qu’on la reconnaisse, Eunice se choisit un nom de scène : « Nina » pour « petite fille » en Espagnol et « Simone », en référence à l’actrice française Simone Signoret. Dans son répertoire, elle reprend « I Loves You Porgy » de George Gershwin. Eunice, devenue désormais Nina Simone, refuse d’ailleurs de prononcer le « s » de « loves » et de respecter scrupuleusement la faute de grammaire que le compositeur faisait commettre à son personnage de Bess, une femme noire des quartiers pauvres. Premier signe constitutif de son engagement futur et premier succès…
Le titre paraîtra en face A du single « I Loves You Porgy », extrait de son premier album studio « Little Girl Blue » sorti sur Bethlehem Records en 1959. Cette reprise sera d’ailleurs le plus gros succès du label. Sur l’album figure également la chanson « My Baby Just Cares For Me » qui deviendra un énorme hit dans les années 80, illustrée par un clip vidéo animé matraqué durant des mois par la chaîne musicale américaine MTV, tandis que Nina Simone ne touchera en tout et pour tout que 3000 dollars pour l’enregistrement de cet album…
En 1963, elle devient la première femme noire à se produire au mythique Carnegie Hall, à New York. La même année, Martin Luther King prononce son non moins mythique discours, « I have a dream ». Devenue riche et célèbre, Nina Simone décide de s’engager dans la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains. Sa musique devient ainsi son arme et l’artiste enregistre des hymnes politiques passés à la postérité, tels que « Mississippi Goddam ». Le titre fait référence à l’attentat à la bombe de Birmingham perpétré par des membres du Klux Klux Klan, qui provoquera la mort de quatre fillettes noires.
Mais ses prises de position dérangent… Et Nina Simone subit alors un redoutable boycott médiatique. Les cartons de 45T sont renvoyés à l’expéditeur par les radios, et les vinyles sont systématiquement cassés… Les années 70 marquent le déclin de la carrière de la chanteuse et son mariage toxique avec son manager Andy Stroud. Un mari violent qu’elle finira par quitter, tout comme les Etats-Unis, en partant avec sa fille Lisa, d’abord en Afrique, puis en Europe. Après une escale en Suisse, c’est finalement à Paris que la diva, seule et ruinée, pose ses valises.
La chanteuse signe un contrat avec une petite salle de concert parisienne, où elle se produit devant un public clairsemé. La voix de la diva de la soul s’éteindra pour toujours le 21 avril 2003, à Carry-le-Rouet, dans le Sud de la France. Comme Nina Simone en avait exprimé le souhait, ses cendres seront dispersées dans plusieurs pays africains. Sa voix, quant à elle, bouleverse toujours autant et continue de résonner dans le monde entier.
« Vous êtes seuls, mais je désire être avec vous » off Nina Simone’s rediscovered album « Fodder On My Wings » : c’est ici
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