Quatre saisons diffusées aux Etats-Unis de 1965 à 1969 sur le réseau CBS et à partir de 1967 en France, dont la première en noir et blanc, soit 104 épisodes au total, font des « Mystères de l’Ouest » probablement l’une des séries les plus originales des années 60-70.
« Les Mystères de l’Ouest », étonnant mélange de western, de science-fiction et de fantastique, saupoudré d’une bonne dose d’humour et de dérision, nous racontent les aventures trépidantes de James West et Artemus Gordon, deux agents très secrets au service du président Ulysses S. Grant, dans les années 1870. Pour les besoins de leur mission, les deux compères vivent et se déplacent à travers l’Ouest américain à bord d’un train luxueux.
West et Gordon, deux hommes prêts à tout pour faire respecter la loi et déjouer les plans nécessairement infâmes d’ennemis de l’ombre, parmi lesquels le célèbre docteur Miguelito Loveless, homme de petite taille mais grand esprit malfaisant ; un génie du crime capable de créer d’improbables machines meurtrières pour ourdir de terribles complots contre les Etats-Unis d’Amérique.
Le personnage du Dr Loveless, qui apparaît dans dix épisodes des « Mystères de l’Ouest » entre 1965 et 1968, certains parmi les meilleurs de toute la série, est incarné par le génial Michael Dunn. Génial n’est pas un vain mot, tant l’acteur était doté d’un quotient intellectuel hors du commun (178, soit 18 points de plus qu’Albert Einstein). Il commence en effet à lire tout seul à l’âge de trois ans, gagne peu de temps après plusieurs concours d’orthographe nationaux. Très doué pour le piano et doté d’un beau brin de voix, il se lance dans une carrière de pianiste de jazz, mais il rêve de faire carrière au cinéma. Michael Dunn est hélas atteint de nanisme et souffre de malformations osseuses qui rendent ses déplacements difficiles.
Malgré son handicap, il pratique néanmoins divers sports – comme la natation et le patinage – et exerce de nombreux métiers, dont celui de détective dans un hôtel, avant de débuter sa carrière au cinéma et à la télé à l’âge de 28 ans. Il jouera dans plusieurs films, surtout d’horreur, et sera nommé pour l’Oscar du meilleur acteur de second rôle dans « La Nef des Fous » en 1966.
Mais le rôle qui le rend célèbre est définitivement celui du savant fou des « Mystères de l’Ouest ». Véritable génie du mal, Loveless est cependant un méchant des plus sympathiques, grâce à sa verve, sa bonne humeur et les numéros de chant et de musique dont il nous gratifie à chacune de ses apparitions. Déguisé en Robin des Bois, Shérif d’une petite ville emprisonnée dans un tableau dans lequel il a piégé les autres personnages, Michael Dunn écrase de sa petite taille ses partenaires, par sa présence et son jeu d’acteur. Il chante, joue du piano et danse, cabotinant sans cesse pour notre plus grand plaisir…
Les épisodes des « Mystères de l’Ouest » se caractérisent par un schéma immuable. Nos deux héros sont confortablement installés dans leur train luxueux. Ils se voient confier une mission et se rendent sur les lieux soit en train soit à cheval. Un groupe de malfrats dirigé par un grand méchant – souvent fou et qui rêve de diriger le monde, à l’instar de la série des James Bond – commet des exactions.
Jim se fait ensuite capturer, souvent après avoir cédé aux charmes d’une femme perfide. Artie, qui pratique à merveille l’art du déguisement et qui utilise des gadgets sophistiqués, vient à son secours. Nos deux amis parviennent à s’échapper, grâce à l’ingéniosité d’Artie (Ross Martin) et aux talents physiques de Jim (Robert Conrad), et finissent par mettre hors d’état de nuire les méchants.
Les moyens de la série, malgré des costumes raffinés et des décors luxueux, se révèlent assez limités. Les malfrats sont toujours incarnés par le même groupe de cascadeurs, que l’on reconnaît très vite au fil des épisodes. Nos héros arrivent toujours dans la même demeure, dont le hall et l’escalier nous sont rapidement familiers. La balustrade de la galerie à l’étage est invariablement brisée, suite à la chute du bandit avec lequel Jim se bat…
Tout le monde se souvient ainsi du jour où la série débarqua en France en 1967, pour ensuite compter à partir de 1973 parmi les programmes phares de l’émission « La Une Est à Vous », produite par Guy Lux et présentée par le regretté Bernard Golay. Les téléspectateurs tombèrent vite sous le charme des aventures rocambolesques, anachroniques et uniques en leur genre, dans la production télévisuelle de l’époque.
Impossible d’oublier ce générique animé, où l’on voyait un cow-boy entrer dans un bar, terrasser un ennemi invisible d’un coup de revolver avant d’assommer d’un uppercut une jeune femme qui s’apprêtait à poignarder notre beau héros. Oui, le politiquement correct n’était pas encore passé par là. Les histoires faisaient trembler et rien que les titres nous promettaient quelques délicieux frissons ; « La nuit du lit qui tue », « La nuit du détonateur humain », « La nuit des barreaux de l’enfer », « La nuit de la machine infernale » ou encore « La nuit de l’engin mystérieux »… Autant de nuits restées depuis gravées dans nos mémoires.
Tout cela faisait trépigner les enfants que nous étions, et d’autant plus que tout se finissait bien… Nos deux comparses remontaient ensemble dans le train qui leur servait de quartier général et repartaient sillonner l’Amérique, vers de nouvelles missions tout aussi périlleuses. C’était il y a bien longtemps, mais la série mérite toujours autant d’être redécouverte, même s’il n’est plus question de la regarder avec la naïveté d’autrefois.
Car l’originalité de la série réside également dans son double niveau de lecture. Première série délibérément gay de l’histoire de la télévision, sous l’influence de son producteur Michael Garrison qui, contrairement aux moeurs de l’époque, affichait ouvertement son homosexualité, « Les Mystères de l’Ouest » assume ainsi un côté parodique et échevelé, avec une volonté évidente de liberté et d’autodérision, à commencer par son titre original, « Wild Wild West ».
Il est fort probable que cette caractéristique ait pu échapper à l’époque aux jeunes téléspectateurs que nous étions, mais c’est définitivement ce qui a désigné « Les Mystères de l’Ouest » comme « la grande série classique la plus mal comprise de l’histoire de la télévision », ainsi que le mentionnent Martin Wincker et Christophe Petit dans leur « Guide Totem des Séries Télé ».
Et effectivement, en y regardant de plus près, on remarquera d’abord les costumes très ajustés de nos deux héros, notamment celui de Robert Conrad, alors qu’aucune autre série western classique ne moulera autant le corps de ses acteurs. Et puis quelques plans rapides, quasi subliminaux, nous offrent un gros plan sur les fesses de Jim, là aussi impensable dans une série diffusée à l’époque, de surcroît destinée au grand public…
Dans la plupart des épisodes, Jim est capturé et exposé, parfois même écartelé, pantalon ultra-moulant et torse nu, dans des positions à la limite d’une revue SM… Tandis qu’Artemus Gordon se travestit régulièrement en femme, haussant le timbre de sa voix et semblant prendre un plaisir immodéré à cet exercice de travestissement en talons hauts. Et ça ne semble pas être que pour les besoins de sa mission… Artemus Gordon, premier drag queen de la télé ? Ça pourrait faire sens…
James ne tombe jamais amoureux, même s’il semble se laisser parfois séduire. Des femmes sont souvent invitées à bord du train, à la fin des épisodes, mais elles ont plutôt « un rôle décoratif » et sont probablement débarquées à la station suivante, laissant nos deux héros savourer leur intimité retrouvée… Deux hommes vivant dans un train, symbole ô combien équivoque, qui ne laisse guère de doute quant à leur orientation sexuelle.
L’esthétique sado-masochiste, qui nous aura probablement échappé à l’époque, semble encore davantage s’affirmer dans les épisodes où apparaît le Dr Loveless, jaloux du corps d’athlète de James West. Pour s’en convaincre, un court extrait du dialogue final de l’épisode « La nuit du printemps meurtrier » (Saison 01, Episode 27). Nos deux amis regardent d’un air triste le lac dans lequel Miguelito vient de se noyer – du moins le croient-ils – et ça donne :
Artemus : « Tu ne veux pas le croire mais c’est ainsi, il est mort. »
James : « Tu as peut-être raison. La haine est un lien aussi fort que l’amour. »
Artemus : « Que veux-tu dire ? »
James : « Il va me manquer. »
Alors, avec « Les Mystères de l’Ouest », aurions-nous affaire à la toute première série crypto-gay de l’histoire ? Pourquoi pas, sachant que son créateur Michael Garrison était un homosexuel affirmé et assumé ; une transgression audacieuse et plutôt légère pour l’époque, qui nous invite à la regarder désormais d’un œil moins naïf et plus coquin. Honni soit qui mal y pense…
En tout cas, « Les Mystères de l’Ouest » reste encore aujourd’hui la série western la plus originale de l’histoire de la télévision. Mécomprise, elle mérite d’être redécouverte pour en saisir toute l’ironie, l’inventivité et ce décalage délicieusement absurde qui lui permet finalement de ne pas trop prendre de rides et de fêter cette année son 55ème anniversaire. Allez, pour finir, découvrons (ou redécouvrons) l’épisode 01 / Saison 01 datant de 1965.