« L’Echelle de Jacob » est sans doute le meilleur film d’Adrian Lyne, que l’on croyait n’être qu’un faiseur efficace d’un genre dédié aux 80’s. « Flash Dance », « 9 Semaine ½ », « Liaison Fatale »…
Sorti en 1989 et passé assez inaperçu à l’époque, ce film a pourtant, au fil des ans, tricoté ses mailles d’oeuvre culte en devenant un modèle du (des) genre(s), voire même une base matricielle, puisque tout un pan des cinémas japonais, espagnol et français a entièrement repris son alphabet, son esthétique et son atmosphère.
Premier du genre donc, le film lance un nouveau style visuel emprunté au photographe Joël Windkin et ses univers putréfiés, clairs-obscurs et fétides. C’est jusque dans le monde des jeux vidéo que « L’Echelle de Jacob » impose un style visuel, sorte de synthèse entre Goya, Rembrambt, Bosh, Bruegel et le photographe cité plus haut. David Fincher viendra d’ailleurs aussi s’y servir pour décorer son deuxième film, « Seven », le thriller qui l’aidera à se propulser en orbite. Avec ce thème musical récurant au piano, doux et mélancolique, de Maurice Jarre, le film d’Adrian Lyne nous parle de la condition humaine sous l’épaisseur de différents filtres.
Oui, c’est un film qui impressionne, qui horrifie, qui terrorise même, mais avec de la lenteur et de la tristesse. Ce mélange de douceur et d’horreur qui nous étreint jusqu’au final est une marque que reprendront tous les réalisateurs dans les 90’s. C’est aussi le premier film qui va relancer la mode du « Twist » final, sorte de coup de théâtre qui remet tout le récit en question ainsi que nos interrogations. Sauf qu’ici, même si c’est le premier du genre, il n’y a pas que le principe en soi : c’est un style. Ce final se raccroche à tout ce que l’on a vu. Cette mise en abyme vaut également comme point de départ à nos propres questionnements.
Film très ambitieux qui fonctionne un peu comme avec « L’Enfer » de Dante, il nous étrangle petit à petit jusqu’à ce que l’on cède. On peut sourire pour ce que le film soulève comme interrogation sur notre foi, nos religions ou nos aspirations. Ce n’est pas très grave car il possède suffisamment de niveaux de lectures et d’interprétations pour que l’on puisse aussi l’apprécier juste comme une oeuvre cinématographique belle, sombre et poétique.
Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images