« Le Souper », pièce en un acte écrite par Jean-Claude Brisville en 1989, est créée le 20 septembre de la même année au Théâtre Montparnasse. Avec dans le rôle de Fouché, Claude Brasseur, dans celui de Talleyrand, Claude Rich, et à la mise en scène Jean-Pierre Miquel. En 1992, Edouard Molinaro adapte « Le Souper » au grand écran, toujours avec Brasseur et Rich.
Après la défaite de Waterloo et l’exil de Napoléon, Wellington et ses troupes sont dans Paris. Le peuple est dans la rue et la révolte gronde. Qui va gouverner le pays ? Le 6 juillet 1815 au soir, Fouché et Talleyrand, qui ont réussi à traverser sans encombre les temps troublés de la Révolution, en sauvant leur tête, se retrouvent lors d’un souper pour décider du régime à donner à la France. Si le premier souhaite une république, le second envisage le retour des Bourbons. Aucun des deux ne peut agir sans l’autre…
Bon, n’y allons pas par quatre chemins, « Le Souper » est un chef d’oeuvre. D’abord parce que ce huit-clos confronte deux des personnages parmi les plus complexes de l’Histoire de France. La lumière, Talleyrand, face à l’ombre, Fouché… Ensuite parce que ce texte au cordeau est ciselé pour des comédiens d’exception. Et les deux distributions majeures qu’a connu « Le Souper » depuis sa création en 1989 ne démentent pas ce fait.
On n’interprète pas de tels rôles sans s’être au préalable plongé dans la réalité d’une époque, d’un contexte historique, et de deux personnages qui ont marqué l’histoire de leur empreinte indélébile. Cette pièce trouve écho dans la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Talleyrand, rompu aux relations extérieures et à la diplomatie, c’est notre Ministre des Affaires Etrangères. Fouché, quant à lui, inventeur de la police moderne et du renseignement, pourrait évoquer de nos jours le Ministre de l’Intérieur.
Autant on connait Talleyrand, à qui Dieu prêta longue vie, puisqu’il mourut à l’âge de 84 ans, ce qui lui permit d’être dans la lumière pendant tant d’années, autant Fouché fut plus un personnage de l’ombre. Alors, quand on veut tenter d’appréhender la vraie nature de Joseph Fouché, on se doit d’avoir lu ses mémoires, d’abord, mais aussi la biographie remarquable que lui consacra Stefan Zweig, qui était fasciné par l’homme.
A présent, en partant du postulat que cette pièce fut écrite pour des acteurs d’exception, et si nous devions nous hasarder à comparer les prestations des couples Brasseur / Rich et Arestrup / Chesnais, je dois admettre que j’ai une légère préférence pour la création originale de 1989… Quand je dis cela, je tiens à préciser qu’il ne s’agit en aucun cas d’un jugement de valeur quant aux comédiens en tant que tels, bien entendu, mais plutôt vis-à-vis de l’appréhension des personnages.
Ce qui n’empêche qu’il faut courir au Théâtre de la Madeleine voir « Le Souper », à ne surtout pas rater !
« Ensuite, je me rendis chez Sa Majesté : introduit dans une des chambres qui précédaient celle du roi, je ne trouvai personne ; je m’assis dans un coin et j’attendis. Tout à coup une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mît les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l’évêque apostat fut caution du serment. » (Chateaubriand, Mémoires d’Outre-tombe).
Au Théâtre de la Madeleine, depuis le 14 mars 2015
De Jean-Claude Brisville
Avec Niels Arestrup, Patrick Chesnais, Paul Charieras et Benjamin Migneco.
Mise en scène : Daniel Benoin
Assistante à la mise en scène : Linda Blanchet
Scénographie : Jean-Pierre Laporte
Lumières : Daniel Benoin
Costumes : Nathalie Bérard-Benoin
Vidéo : Paulo Correia