La richesse d’une collaboration au long cours entre un cinéaste et un compositeur, qui va perdurer durant des années et donner lieu à de nombreux films, c’est que chacun se nourrit de la sensibilité de l’autre ; comme dans un couple (de cinéma…), il en résulte une forme de quintessence, dont le résultat à l’écran est une osmose parfaite entre le son et l’image.
Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Pino Donaggio et Brian De Palma, Danny Elfman et Tim Burton, Ennio Morricone et Sergio Leone, Angelo Badalamenti et David Lynch, James Newton Howard et M. Night Shyamalan, Hans Zimmer et Christopher Nolan, Eric Serra et Luc Besson… Bon, le dernier exemple, c’était plus pour rire… Et puis bien-sûr John Williams et Steven Spielberg… Avec comme seules entorses au contrat, « Purple Color » dont la bande originale fut composée par Quincy Jones, « Amblin’ » et le téléfilm « Duel » avec Billy Goldenberg.
Avec « Rencontres du Troisième Type » sorti en 1977, c’est donc la troisième collaboration entre Williams et le réalisateur de « Schindler’s List ». Steven Spielberg avait été impressionné par le travail musical accompli par John Williams sur des films sortis en ce début des années 70 ; « L’Aventure du Poséidon » (1972), « La Tour Infernale » (1974), « Tremblement de Terre » (1974), mais surtout avec « Reivers » (1969) et « Images » de Robert Altman en 1972. Il s’avère que John Williams est non seulement à même de composer la musique de trois films par an en moyenne, mais il sait de surcroît différencier chaque projet qu’il entreprend. La richesse thématique qu’il est capable de mettre en œuvre et cette facilité avec laquelle il peut jongler entre les différents projets en cours sidèrent Steven Spielberg…
Pour « Rencontres du Troisième Type », la visite des extraterrestres sur terre ne va pas se solder par une éradication totale de l’espèce humaine, avec force désintégration en bonne et due forme, auxquelles le public était jusqu’alors habitué. Non, déjà afin de ménager un certain suspense, John Williams doit cette fois avoir une approche faite de mystère, tout en instillant une ambiance assez anxiogène.
Comme il avait pu le faire avec le score du film « Images » d’Altman, Williams s’essaie ici à un style atonal à base de percussions, de sonorités étranges et dissonantes, le tout rehaussé par des chœurs inquiétants. Ce travail presque expérimental rappelle immédiatement le style de Ligeti et son requiem, utilisé d’ailleurs pour l’ouverture de « 2001, l’Odyssée de l’Espace ». En effet, au début du film de Steven Spielberg, on ne connaît pas encore vraiment le dessein de ces visiteurs extraterrestres et la nature de leur démarche.
Toute une partie du score de « Rencontres du Troisième Type » fera en sorte d’appuyer les spéculations empreintes d’inquiétude des scientifiques en quête de réponses, ainsi que les personnages de Richard Dreyfuss et Melinda Dillon, quant à eux en quête de vérité. On laisse planer le doute jusqu’au final, lorsque John Williams retrouve l’essence du merveilleux. Il reprend donc le thème des cinq fameuses notes jouées au tout début de la grande scène finale, afin de tenter de communiquer avec les extraterrestres, en une suite orchestrale qui fédère ainsi aussitôt les humains et les visiteurs de l’espace. C’est alors une communion musicale qui accompagne le dernier segment du film, tandis que nos divers protagonistes révèlent leurs véritables rôles respectifs dans toutes ces conjonctions, avant le grand départ.
Avec ce score, nous avons affaire à une musique totalement habitée, inspirée et riche en motifs ; une bande originale qui révolutionne le rôle de la musique au cinéma, puisqu’elle y est également intra et extra-diégétique. La musique est ici un élément-clef dans le processus créatif et dans ce que raconte le film ; dedans, autour et après. On ne peut imaginer alors un autre compositeur que John Williams pour non seulement accompagner les images, mais les redéfinir.
« E.T., l’Extra-Terrestre » sort en 1982. On peut voir ce film comme le pendant parfait à « Rencontres du Troisième Type » ; une sorte de suite ou de point de vue autre sur cette thématique. Une extension dont le traitement, même s’il reste universel, sera plus linéaire, plus simple, plus pur.
Pour illustrer cette fois-ci ce récit intime dans lequel la visite d’un extraterrestre est vécue du point de vue d’un enfant, John Williams et Steven Spielberg optent paradoxalement pour une musique orchestrale puissante. Ne craignant pas les envolées lyriques totalement assumées, le compositeur de « Jaws » illustre ici avec beaucoup de force et de mélodie le ressenti du personnage principal, Elliott, face au monde des adultes, et d’autre part l’instauration de sa relation avec son nouvel ami venu de l’espace.
Pour les amateurs de musique classique, on pense tout de suite à l’univers de Sergueï Prokofiev et notamment « Pierre et le Loup » ou le ballet « Roméo et Juliette ». Les cors, ainsi que les autres cuivres, employés de manière puissante, créent un relief saisissant, avec cependant des ambiances générales plus douces. John Williams utilise de nouveau le leitmotiv. Chaque personnage aura son thème ou plutôt chaque camp aura son propre motif.
En effet, l’idée pertinente du projet réside dans le fait que le réalisateur de « A.I. Intelligence Artificielle » a souhaité faire un film à hauteur d’enfant. On regarde donc « E.T. » du point de vue d’Elliott, le jeune héros, avec ses émotions qui se trouvent démultipliées. En s’identifiant à lui, les curseurs du merveilleux et du ressenti sont poussés au maximum et cette musique n’est que l’émanation des sentiments du petit terrien âgé de dix ans.
John Williams a su également installer des mélodies douces comme jamais il n’en avait composées jusqu’à présent, pour figurer cette enfance, avec son innocence et sa magie. Le piano et la clarinette contrebalancent ainsi les cuivres, dont les cors, qui représentent quant à eux les adultes, et notamment les mystérieux agents du gouvernement qui recherchent le fugitif intergalactique. Ce balancement entre force orchestrale et des modes musicaux plus doux et délicats, en d’incessantes ruptures de ton, rappellent aussi les constructions inattendues et étonnantes d’un autre immense compositeur de la fin du 19ème et début du 20ème siècle, Gustav Mahler.
On ne peut nier les similitudes avec la symphonie # 1, ou « Titan », du compositeur autrichien, dont le premier mouvement évoque une ambiance de sous-bois et de mystère végétal. Le début d’« E.T. » et cette petite flûte aérienne, à l’instar d’une symphonie, rend hommage au dieu Pan, dieu de la forêt et de la nature, et inscrit de suite cette oeuvre de Spielberg dans une forme classique, définitive et intemporelle.
Et comme cette musique n’a pas pris une ride depuis 1982, elle enveloppe le film, dans une aura de grand spectacle indémodable, et ce malgré des effets spéciaux qui ont pris un sacré coup de vieux. « E.T. », au même titre que beaucoup d’autres compositions de John Williams, se réécoute aisément comme une partition séparée. L’univers sonore dépeint ou proposé dans le film peut dès lors se décliner pour toute autre rêverie personnelle, tant il est riche et profond, au point qu’il y est impossible de ne voir dans ce score qu’une simple illustration formatée.
Pour s’en convaincre, ce morceau de bravoure musicale et élégiaque final intitulé « Escape, Chase, Saying Goodbye », où l’on revient à la façon d’un medley sur tous les thèmes entendus dans le film, pour exploser en un bouleversant bouquet final, lorsque E.T. et Elliott se font leurs adieux, que le vaisseau décolle et disparaît dans le ciel. A ce moment-là, les poils sur les bras sont au garde à vous et les larmes brouillent la vue.
La prochaine partie de cette petite anthologie sur John Williams traitera de la musique pour les films sur l’archéologue le plus célèbre du cinéma d’aventure.
« John Williams : quand la Musique devient du Cinéma (Part 01) »