Il paraît que ça n’est pas bien de dire que c’était mieux avant…
Pourtant, en ce qui concerne la musique de film, il faut quand même bien avouer qu’on a connu de sacrées révolutions dans le courant des années soixante, avec des compositeurs et musiciens qui ont entièrement redéfini le genre.
Tandis que depuis les années 30, les Erich Wolfgang Korngold, Max Steiner ou Miklos Rozsa balisaient le cinéma américain, et du coup le cinéma mondial, de leurs scores symphoniques, pompieristes et illustratifs, c’est avec l’arrivée de Bernard Herrmann dans le courant des années 40, puis avec Alex North dans les années 50, un arrangeur qui venait du monde du jazz et de la musique dissonante, que les choses vont changer dans le paysage sonore de la musique de film.
Des musiciens qui viendront quant à eux non pas du classique et de formations strictes, mais plutôt du jazz et de la musique expérimentale, emboîteront le pas de ces glorieux précurseurs, d’Ennio Morricone en Italie à Lalo Schifrin en Argentine, en passant par François de Roubaix en France, Jerry Goldsmith aux Etats-Unis et enfin John Barry au Royaume Uni.
Je reviendrai bientôt avec plaisir sur chacun de ces compositeurs, mais penchons-nous aujourd’hui sur le cas du plus jazzy d’entre eux… Même si John Barry, à l’instar de ses confrères cités plus haut, n’a pas le patronyme reconnaissable entre mille pour le commun des mortels, ses musiques, en revanche, se chargeront de le rendre unique.
Si James Bond est parvenu aujourd’hui au stade ultime de l’universalité, jouissant d’une identité si forte à travers le monde, ça n’est sûrement pas grâce à la qualité intrinsèque de ses films, non. Cela tient plutôt du fantasme, de l’inconscient collectif, car dès que surgit sur la droite de l’écran cette silhouette élégante en smoking, qui se met à tirer dans notre direction, avec cette célèbre vue suggestive de l’intérieur du canon d’un revolver (sublime représentation graphique de tout un univers exprimée en quelques secondes), que monte cette musique qui explose en un mélange de cuivres, de cordes et de guitare électrique, ce thème de Bond ouvrant chacun des films depuis « Docteur No », le premier de la série, on sait ce que l’on voit et on comprend ce qui est une évidence.
Alors, la musique de John Barry ?
Du jazz, de la mélodie romantique poussée parfois jusqu’à son point de rupture, des apports judicieux d’instruments étonnants, et toujours ce quelque chose de mélancolique, toujours… Mais surtout, cette musique qui devait sonner « nouveau » et moderne, à l’époque où toutes ces compositions ont vu le jour. Il faut d’ailleurs préciser que le thème original de James Bond fut en fait composé par Monty Norman, avant que John Barry ne le ré-arrange, pour lui conférer toute cette modernité et cet élan incroyable.
Pour Bond, c’est donc l’apport du jazz et de ces cuivres puissants trouvant leur paroxysme avec les scores de « Goldfinger », « Thunderball » ou le chef d’œuvre « You Only Live Twice », ainsi que les collaborations avec des interprètes comme Shirley Bassey ou Nancy Sinatra, qui soulignent tout le génie du premier mari de Jane Birkin. Et puis il y a aussi le symphonique flamboyant, toujours avec cette touche d’amertume, comme « La Rose et La Flèche » de Richard Lester, « Boom » de Joseph Losey, « La Vallée Perdue » de James Clavell ou « Out Of Africa » de Sydney Pollack.
John Barry fut finalement à l’aise dans presque tous les genres. Même avec « Le Trou Noir », une production S.F. encombrante produite par Walt Disney en 1979, qui comptait bien surfer sur le succès du premier Star Wars arrivé deux ans plus tôt. Un film assez raté, mais qui devint grâce au score de John Barry une sorte de long poème contemplatif et étrange.
Il ne faudrait pas oublier dans cette énumération succincte des plus grands succès de John Barry le générique de « The Persuaders » (Amicalement Vôtre). Sublime morceau venant de nul part, sorte de variation s’inspirant de mélodies d’Europe de l’Est, dans laquelle sont conviés des instruments tel que le cimbalom, le Moog et le clavecin. Si la série a forcément vieilli, ce générique reste encore et toujours un sommet du genre.
Pas de date de naissance ni de décès de John Barry ici, parce qu’on s’en fout, en fait. Tant sa musique reste puissante, belle, racée et éternelle.
Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images