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Le 12 août 1988, Jean-Michel Basquiat disparaissait à l’âge de 27 ans. Le peintre américain d’origine haïtienne reste encore aujourd’hui une énigme, tant il accumule les records après avoir été longtemps boudé par la plupart des grands musées.

 

Devenu le peintre américain le plus cher de l’histoire (110,5 millions de dollars pour une toile vendue aux enchères chez Sotheby’s à New York le 18 mai 2017), Jean-Michel Basquiat est aujourd’hui l’un des artistes les plus influents de sa génération. Déjà, en janvier 2017, un tableau sans titre était vendu aux enchères chez Christie’s pour la somme époustouflante de 57.285.000 dollars.

Ce grand tableau de 1,83 m sur 1,73 m représente une tête noire torturée et inquiétante sur fond bleu azur. Il a été adjugé après plus de dix minutes d’enchères, une durée très inhabituelle. Le prix de départ avait été fixé à 57 millions de dollars, soit quasiment le record pour celui qui se fit connaître sous le pseudonyme « SAMO » dans les années 70, en taguant sur les murs de New York. La toile n’avait plus été proposée à la vente, ni présentée en public, depuis son acquisition par un collectionneur anonyme en 1984 chez Christie’s. L’acheteur de l’époque n’avait d’ailleurs déboursé que 19.000 dollars pour cette oeuvre de 1982.

 

© AFP / Cortesía / Notimex

 

 

Jean-Michel Basquiat, trente ans après sa mort, semble cependant davantage célébré dans la rue qu’au musée… À première vue, cet enfant de Brooklyn, né d’un père haïtien et d’une mère portoricaine, n’a laissé que peu de traces à New York, où il passa pourtant l’essentiel de sa vie et qui fut pour lui une source d’inspiration majeure. Tout juste une plaque, discrète, sur la façade de son ancien atelier, caché dans le minuscule quartier de NoHo. Aucun monument public en son honneur, aucun lieu portant son nom, plus aucune empreinte de ses fameux graffitis signés « SAMO », pour « Same Old Shit ».

 

 

 

Ses admirateurs vont se recueillir, à défaut, sur sa tombe, au cimetière de Green-Wood à New York. Avec le compositeur Leonard Bernstein, « Jean », comme l’appelaient ses proches, est le plus célèbre résident de ce gigantesque cimetière de Brooklyn où sont enterrées 570.000 personnes, selon Lisa Alpert, vice-présidente du développement du lieu. Des visiteurs y « laissent des choses sur sa tombe », une sépulture très sobre, avec l’assentiment de la direction, explique-t-elle.

Presque introuvable dans la rue, Jean-Michel Basquiat l’est aussi dans les musées new-yorkais : dix pièces au MoMA, mais uniquement des dessins et des sérigraphies, six au Whitney, deux au Metropolitan Museum, deux au Brooklyn Museum et une au Guggenheim. Pour un artiste qui a laissé derrière lui plus de 2.000 oeuvres, c’est peu. «   C’est une honte que les musées de New York n’aient pas davantage de Basquiat », estime l’artiste Michael Holman, ami du peintre, qui créa avec lui le groupe Gray.

Il rappelle que, du vivant de Basquiat, le couple de collectionneurs Lenore et Herbert Schorr proposa de faire don de tableaux de l’artiste au MoMA et au Whitney, qui refusèrent… Pour Michael Holman, « il y a une certaine dose de racisme » dans le peu d’intérêt affiché par les grandes institutions artistiques de New York du vivant de Basquiat, voire même après sa mort.

 

À Brooklyn, une oeuvre de l’artiste Eduardo Kobra met Jean-Michel Basquiat à l’honneur.
© Maisant Ludovic / hemis.fr / Hemis

 

Né à Brooklyn en 1960 et décédé trop jeune en 1988, Jean-Michel Basquiat fut souvent considéré comme le porte-parole de l’immigration américaine. Cet artiste néo-expressionniste, issu de l’univers du graffiti, est notamment connu pour ses représentations de paradoxes sociaux. À travers ses peintures, Basquiat illustrait par exemple l’opposition entre la richesse et la pauvreté, ou encore l’intégration et la ségrégation. Il mariait habilement texte et image, couleurs et poésie, pour dénoncer la société moderne ou commémorer les injustices de l’histoire afro-américaine. Des thèmes probablement pas assez consensuels pour les grands musées new-yorkais…

Professeure d’histoire d’art contemporain au California College of the Arts, et auteure du seul ouvrage d’étude de l’oeuvre de Basquiat, Jordana Moore Saggese y voit aussi la conséquence du succès dont cet ovni, débarqué dans le monde de l’art sans aucune formation, bénéficia de son vivant auprès de collectionneurs et de galeristes. « Durant les années 1970 et 1980, critiques et historiens étaient très partagés sur la question de savoir si un artiste pouvait connaître le succès sur les plans à la fois commercial », comme Basquiat, « et critique », afin d’attirer l’attention des musées, explique Jordana Moore Saggese.

Peu avant de mourir d’une overdose d’héroïne à 27 ans, l’artiste était déjà parvenu à attirer l’attention des collectionneurs grâce à ses œuvres lourdes de sens. Aujourd’hui encore, quelque 85 à 90 % des pièces de ce jeune homme charismatique, héros du film « Downtown 81 » dans lequel il joue son propre rôle à 20 ans seulement, sont entre les mains de collectionneurs privés, estime Jordana Moore Saggese. De Leonardo DiCaprio à Bono, en passant par Jay Z, Johnny Depp ou Tommy Hilfiger, la liste des célébrités détenant ou ayant possédé une toile ou un dessin de Basquiat ne cesse de s’allonger.

 

 

 

Quelques galeries new-yorkaises proposent des oeuvres de Basquiat, notamment la Soho Contemporary Art. Mais elles sont plus rares que jamais, avec les records atteints par ses créations aux enchères. Et ses oeuvres sont aujourd’hui inabordables pour les musées, quand bien même ils souhaiteraient en acquérir. Pour preuve, le propriétaire de la Soho Contemporary Art, Rick Rounick, avait neuf tableaux il y a encore quelques mois, mais n’en a plus que deux.

 

« A mesure que des collectionneurs (possédant des tableaux) vont préparer leur succession et prévoir des dons aux musées, nous verrons davantage d’oeuvres majeures se frayer un chemin jusqu’aux collections publiques », anticipe Jordana Moore Saggese. En attendant, s’il n’est que peu célébré par les institutions, Basquiat infuse la culture populaire par d’autres biais. « Ses peintures et ses dessins apparaissent sur des T-shirts, des baskets, des montres et des sacs », souligne Saggese. « D’une certaine façon, il est plus accessible qu’il ne l’a jamais été ».

 

Depuis 2014, la marque japonaise de vêtements Uniqlo a sorti plusieurs collections reprenant des oeuvres de Basquiat en collaboration avec le MoMA. L’auteur noir Javaka Steptoe a publié un livre sur cette icône du New York des années 1980, « The Radiant Child », destiné aux enfants. Une façon pour ceux qui ne connaissent rien de cette période d’entrer en contact avec son univers.

 

« Les enfants l’adorent, parce que son art et le leur sont similaires », explique-t-il. « Il leur donne la permission d’être eux-mêmes ». Pour Michael Holman, l’influence de Basquiat à New York est palpable dans la rue. « On voit tellement de gens qui ont adopté son style, sa coupe de cheveux », dit-il.

 

Le chanteur canadien The Weeknd a longtemps arboré les mèches dressées en touffes en hommage au peintre. L’artiste s’inscrit aussi dans la culture actuelle par le biais des textes des plus grands rappeurs, genre dominant aux Etats-Unis en général et chez les jeunes en particulier, notamment chez Jay Z, Kanye West ou ASAP Rocky, pour n’en citer que quelques-uns. « C’est un héros pour les jeunes », assure Michael Holman, « comme Warhol l’était pour ma génération ».

À l’époque, au cours d’une interview accordée à Cathleen McGuigan pour le New York Times, Jean-Michel Basquiat avait expliqué qu’il rêvait de devenir une star, et non une mascotte de galerie… Il lui aura fallu attendre près de trente ans… après sa mort… pour voir son rêve se réaliser. En effet, Basquiat collectionne depuis quelques années tous les records en terme de prix de vente de ses toiles, en particulier celles datant du début des années 80.

 

« Untitled » (1982) : 57.285.000 dollars – En découvrant ce tableau pour la première fois, Yusaku Mazawa a aussitôt ressenti une connexion spirituelle avec l’essence de cette œuvre. C’est la raison pour laquelle le collectionneur japonais a décidé d’investir une telle somme pour acquérir cette pièce.

 

« Dustheads » (1982) : 48.843.752 dollars – Vendue en 2013 par Tony Shafrazi, cette toile initialement estimée par Christie’s à 35 millions de dollars a dépassé toutes les attentes.

 

« The Field Next to the Other Road » (1981) : 37.125.000 dollars – Très convoité, ce tableau a longtemps été prisé par Christophe van de Weghe. Depuis 1993, le collectionneur a tenté d’acquérir cette toile à deux reprises, en vain.

 

« Untitled » (1981) : 34.885.000 dollars – Cette œuvre est considérée comme la transition de Basquiat du statut de street artist underground à celui d’icône mondiale. Détenu depuis 1982 par la Annina Nosei Gallery, le tableau a finalement été vendu par Christie en 2014.

 

« Untitled » (1982): 29.285.000 dollars – Vendu en 2013, ce tableau à l’effigie d’un roi squelette fait partie des œuvres les plus célèbres de Basquiat. Il est passé par de nombreuses galeries de prestige, parmi lesquelles la Annina Nosei Gallery, la Fredrik Roos Collection et la Tony Shafrazi Gallery.

 

« Untitled » (diptych) (1982) : 28.928.434 dollars – Cet immense tableau de 6 pieds sur 8 a été acheté en 2013 pour près de 29 millions de dollars. Auparavant, il était entreposé depuis 1982 à la Annina Nosei Gallery.

 

« Untitled » (1981) : 26.402.500 dollars – Vendu en 2012 pour plus de 26 millions de dollars, ce tableau a battu le précédent record de 20,1 millions de dollars.

 

« Untitled (Yellow Tar and Feathers) » (1982) : 25.925.000 dollars – Ce tableau fait partie d’une collection de tableaux exposée par Basquiat à la galerie Larry Gasgosian de Los Angeles en 1982. Il a ensuite été acheté par un collectionneur privé.

 

« Undiscovered Genius of the Mississippi Delta » (1983) : 23.685.000 dollars – Cet immense tableau de 15 pieds associe les symboles de l’histoire afro-américaine à une fascinante technique d’expressionnisme abstrait.

 

« Untitled » (1981) : 20.092.132 dollars – Vendu en 2012, ce tableau fut la première œuvre de Basquiat à dépasser la barre des 20 millions de dollars.

 

A signaler tout de même qu’une place porte son nom dans le XIIIème arrondissement de Paris…

 

Sources : Bastien Belloc pour Luxe.netCultureBox

 

 

 

 

 

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