Dans la veine de Bret Easton Ellis époque « Glamorama », avec le même style percutant et vif, l’auteur Jardine Libaire nous entraîne dans le New York des années 80. Grand écart vertigineux entre la haute société et les junkies des bas fonds ; nous sommes plongés à chaque page au coeur d’une société d’une profonde inégalité.
Les protagonistes n’étaient pas censés se rencontrer, encore moins s’aimer. Elise Perez, lumineuse grande tige aux longues tresses et aux grands pieds, se pare d’un manteau de (fausse) fourrure blanche racheté à une junkie dans le métro, pour l’équivalent d’une part de pizza. Elle est voisine de Jamey Hyde, étudiant à Yale, qui vit en coloc à New Haven avec son ami d’enfance Matt. Les deux garçons possèdent les mêmes codes, ils ont traversé sans encombre vingt années remplies de cocktails et de croisières, vivant dans des appartements gigantesques sur la 5ème Avenue ou d’immenses propriétés à Long Island…
Leurs parents sont membres d’une classe à part, qui néglige ses devoirs pour se consacrer à l’art du paraître. Ils cultivent une certaine idée du bon goût mais ne possèdent pas le sens des valeurs. Ils survolent la vie en accumulant des Picasso ou des montres Patek Philippe pour combler la vacuité de leur existence. Elise, quant à elle, est à des années-lumière de ce milieu, sa mère est un pur produit de la classe populaire, corps de matrone ayant enfanté une descendance multiple au hasard de son parcours chaotique.
Cependant Elise est un être à part… Elle ne se prostitue pas, ne se drogue pas, elle cherche à fuir son milieu qui l’entraîne inexorablement. Matt se méfie d’elle et met en garde Jamey, mais de fil en aiguille, celui-ci début une relation avec Elise, tout en prenant bien soin de sauver les apparences, en ne s’affichant pas avec elle. Au jeu du chat et de la souris, nos deux héros vont se rapprocher, se renifler, se rejeter, se détester, jusqu’à finalement s’affranchir des codes…
Quand Jamey s’installe à Manhattan dans le loft d’une amie de ses parents, pour réaliser un stage d’été chez Sotheby’s, il convie sur un coup de tête Elise à l’accompagner. Il est devenu accro à sa simplicité, son naturel désarmant, sa façon de s’offrir sans concessions, toute entière. Il n’a jamais connu cela. Petit à petit, ce fils de bonne famille va prendre conscience de la vacuité de son milieu, qui baigne dans la cocaïne – drogue des riches – pour échapper à la réalité.
Sans spolier le dénouement, Jamey ira jusqu’à lancer une procédure juridique pour renoncer à son héritage pesant, prendre un petit boulot, se marier… Mais ses anciens amis réapparaissent dans sa vie et plongent nos Roméo & Juliette des temps modernes dans un piège qui va les acculer au pied du mur. Ils s’échappent du carcan d’une clinique de luxe et l’histoire se termine en road movie flamboyant vers le Wyoming, no man’s land à deux jours de bus de leurs origines respectives.
Le final est haletant, vont-ils descendre aux enfers ou s’en sortir ? Ce sont des amants maudits, qui ne demandent qu’à vivre simplement leur amour, sans diktat ni faux semblants. L’auteur, en écrivant sur cette époque si particulière de l’histoire de New York, pas encore nettoyée ni dératisée, en quasi faillite, nous rappelle qu’à côté de la Trump Tower et du luxe des boutiques de la 5ème avenue, vivaient encore des fantômes qui tentaient de s’en sortir et de vivre, tout simplement.
A noter qu’Amazon vient d’acquérir les droits du livre pour l’adapter en série… Passionnant…
Jardine Libaire : « La Fourrure Blanche » (Les Presses de la Cité)