PARTIE I
« Niort, Niort… Niort, deux minutes d’arrêt, Niort ! »
CHAPITRE IV
« Voici venu le temps des rires et des chants… ! »
Cet univers parallèle dont j’étais le seul à avoir accès, avait été façonné par mon imagination. J’y possédais mon propre Goldorak en taille réelle et il gardait l’entrée. Je n’avais aucune contrainte, aucune obligation. Ce cosmos intime était comme le pendant édulcoré et délirant de la ville où je vivais en vrai ; « Niort, Niort, deux minutes d’arrêt, Niort ! ». Un Wonderland pour moi tout seul. Pour ce faire, je m’étais pas mal inspiré de mes séries TV préférées. En survolant Niort en avion, on aurait pu reconnaître un peu le village du Prisonnier. « Les Mystères de L’Ouest » et « Chapeau Melon et Bottes de Cuir » avaient aussi servi de référence.
Dans cet Eden à taille d’enfant, on ne trouvait rien d’autre que des pâtisseries et des magasins de jouets à perte de vue. Et j’avais le pouvoir absolu. Normal, c’est moi qui avais tout imaginé. Je pouvais manger tous les gâteaux que je voulais sans jamais vomir. Tout était gratuit. Dès mon plus jeune âge, je me comportais déjà comme un despote mégalomane faisant régner la terreur sur tous les jouets qui se trouvaient dans mon royaume. Combien ont fini démembrés, brûlés, broyés, écartelés, juste à cause d’un regard de travers, une attitude désinvolte qui ne me convenait pas. Avec moi comme tyran, ça filait droit et gare aux Big Jim arrogants.
J’étais un enfant natif du signe du cancer. Je pouvais me comporter comme un autiste, mais capable de fulgurances ou d’accélérations soudaines. Il fallait être là lorsque ça arrivait… Sinon, il y avait juste un corps maladroit et mal défini dont l’esprit se faisait la malle sans arrêt. À l’extérieur, un monde anonyme, des années qui passent au rythme des hommes, selon leurs propres lois terrestres. Dedans, je n’entends rien à ces concepts de croissance car je ne peux garder le même aspect très longtemps. Je suis protéiforme. Je peux être ce que je veux.
Malgré mon refus catégorique de vieillir, tel un Peter Pan ultra-orthodoxe, je grandis tout de même et pas très bien. Ce problème de glande thyroïde que je pense être une malédiction me fait croître à l’horizontale plutôt qu’à la verticale. Je deviens ce bibendum qui n’évacue plus rien, qui garde tout. Toute cette peur, cette angoisse de devoir changer et de sans doute perdre son âme.
Premier constat : mes parents ne se préoccupent guère de l’affliction dont souffre leur rejeton. Ils attendront plusieurs années avant de réagir et de se pencher sur le problème, à savoir pourquoi ils ont un fils normal et l’autre qui ressemble de plus en plus à Casimir ? Ce sera un magnétiseur que l’on paye en saucisses et en douzaines d’œufs qui exercera ses talents sur mes maux en parvenant enfin à déverrouiller tout mon corps.
CHAPITRE V
Duvet et voix qui mue
Dans la rubrique questions et préoccupations hormonales que j’étais censé commencer à agiter devant mon entourage, afin de le rassurer de temps en temps et démontrer que j’étais tout à fait normal et saint d’esprit, j’évoquais du bout des lèvres deux ou trois marronniers qu’il est coutume de ressasser à cette période de la croissance, comme par exemple faire semblant d’évoquer une fille de ma classe avec intérêt, de la ramener même à la maison pour un goûter d’anniversaire.
Et puis à l’école, il est toujours bien vu également de commenter avec ferveur un contrôle de maths que l’on vient de finir et comparer ses résultats avec les autres. Paraître studieux en cours, concentré, intéressé, impliqué, aimer la vie et les autres. Jouir de tout ce qui nous entoure. Donner l’impression de participer à toutes les activités humaines classiques. Mais tout me semblait bien insipide et peu stimulant, en vérité. J’avais l’impression d’être dans la peau d’un poulpe, forcément inadapté à la terre ferme et à ses représentants.
Dans la série des standards liés à cette période de la vie, je n’ai pas aimé non plus apprendre à faire du vélo et pour tout dire, je n’ai jamais su en faire. Je n’ai jamais voulu construire une cabane dans un arbre, courir dans les champs et les forêts avec un bâton et encore moins appartenir à une bande dont j’aurais été le chef, le souffre-douleur ou la caution comique. Non, moi ce que j’aimais surtout, c’était rester seul des journées entières à jouer dans ma chambre ou dans mon palais mental. Le petit mollusque terré dans son coin sombre et humide.
En y regardant de plus près, je ne ressemblais pas vraiment non plus à un garçon. Ma voix était fluette et chantante. J’avais des seins. Mes gestes, sans être maniérés, semblaient malgré tout obéir à une sorte de chorégraphie bien étrange. Je m’exprimais systématiquement en mimant tout avec les mains. Lorsque les autres marchaient, je me déplaçais quant à moi toujours rapidement, comme un automate détraqué.
Mon frère, en revanche, était très affirmé, très garçon. Et il n’y avait absolument aucune ressemblance physique ou psychologique entre nous deux. Il aimait par dessus tout me donner des gros coups de poing au bras ou me lancer des fléchettes sur les pieds. Étant le petit dernier et chouchou de sa maman, je caftais souvent et rapportais systématiquement tous les coups bas que mon frère me faisait subir. Pour lui, je n’étais plus qu’une petite tête à claques dont la seule utilité était de lui servir de défouloir. Un être étrange qu’il n’arrivait pas à décrire ou à rationaliser et qu’il se devait de corriger dès que l’occasion se présentait.
J’avais dans ma chambre la poupée E.T., des vaisseaux Star Wars, des LEGO, des masques de monstres en latex, des figurines et des robots avec lesquels je jouais sans arrêt… Et cela, bien au-delà de mes 13 ans.
En parallèle, et ce afin de tenter de camoufler ces vieilles habitudes tenaces, je me forçais à fréquenter des garçons de mon âge, avec qui j’entretiendrais des comportements de petit d’homme en devenir. Je m’essayais aussi à l’impertinence, comme mon frère le pratiquait communément avec mes parents. J’eus ainsi ma période où je répondais à ma mère, sur tout ce qu’elle me reprochait. « Hubert, ta chambre est une porcherie, on ne peut plus pousser la porte pour entrer ! ».
– Ouais mais c’est pas l’problème…
– Hubert, tu peux ranger tes chaussures à leur place !
– Ouais mais c’est pas l’problème…
– Hubert, tu peux venir m’aider à plier les draps, s’il te plait ?!
– Ouais mais c’est pas l’problème…
Jusqu’au jour où j’ai poussé le concept « Badass » jusqu’à traiter ma mère de « conne ». Bon, là effectivement, ce fût la limite. Ma mère me rattrapa dans ma chambre et m’envoya une gifle façon Lino Ventura dans le film éponyme. Je ne me risquai plus jamais à jouer les bad boys avec elle.
J’aimais la solitude, pas par choix mais bien parce que je ne trouvais pas d’individus de mon âge qui fussent proches de mes attentes, de mes envies et de ma façon d’être. J’adorais rester cloîtré dans ma chambre des journées entières, tel un savant fou dans son laboratoire, préparant en secret la conquête de la terre pour enfin devenir le maître du monde.
Même pendant les grandes vacances, ma chambre représentait tout pour moi, mon repaire, mon royaume, mon donjon. C’était un deuxième corps, un exosquelette, ma carapace. Je détestais aller dehors. La nature et tout ce que l’on pouvait y trouver me terrifiait. J’avais une phobie absolue des insectes et de tout ce qui pouvait ramper, sauter, grimper ou voler.
J’ai pourtant dû, par deux fois, quitter mon antre pour aller faire du camping avec mes parents, puis une autre fois avec un oncle et une tante. Même étant enfant, je ne comprenais pas le plaisir de vivre dans une caravane ou sous une toile de tente. Ce concept du campement, avec des gens collés les uns contre les autres, me faisait horreur. Devoir faire la queue pour faire la vaisselle, prendre sa douche, faire pipi, caca… Le spectacle permanent de tous ces gens dénudés dévoilant les parties de leur corps les plus disgracieuses. Le bruit des zips qui s’ouvrent et qui se ferment…
La chaleur suffocante sous ces toiles plastifiées, qui vous prend à la gorge dès le matin au réveil et qui vous pousse à sortir sans pouvoir traîner. Les sacs de couchage et les matelas gonflables totalement inconfortables. Le bruit que font les tongues lorsqu’on marche avec. Vos voisins de rangée toujours avachis à longueur de journée sur leurs chaises pliantes, en train de se gaver de chips Flodor, en buvant des boissons anisées, et à qui vous vous sentez obligé de dire bonjour à tout bout de champ. Le concert cacophonique de tous ces postes transistors allumés en permanence (Le Hit Parade, Les Grosses Têtes, Lucien Jeunesse…).
Pour moi le camping, c’était le cauchemar absolue, l’horreur, la Corée du Nord… Je savais que si un jour je devenais président de la république, je ferai fermer tous les campings de France. J’interdirai la vente de caravanes, campings cars et toiles de tentes en tout genre. J’irai même mettre le feu moi-même au camping des Flots Bleus. Des amendes seront prévues, des incarcérations pour les plus récalcitrants, voire même des exécutions, s’il le faut…
Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 01)
Hubert Touzot : « La Pudeur » (Episode 02)