INTRODUCTION
La photo du communiant
Pendant des années, il y a eu ce portrait au format 60×90 accroché au mur de la chambre de mes parents, juste en face de leur lit.
Question : que se passait-il dans leurs têtes à chaque fois qu’ils se couchaient et qu’ils se retrouvaient nez à nez avec cette vision improbable ?
J’étais leur deuxième fils, le cadet, et j’étais là, jour et nuit, sur la tapisserie, arborant une aube blanche, un visage joufflu et circonspect, avec cette expression étrange, ce petit rictus à la Mona-Lisa.
Mes doigts boudinés se cramponnaient à un missel que je ne lirai jamais. Un énorme crucifix en bois pendait à mon cou. Je me voyais imposer une coupe de cheveux que seules les mères peuvent approuver, ainsi qu’une paire de lunettes hideuses qui pourrait pourtant être aujourd’hui hyper tendance. Derrière moi, en fond, il y avait un ciel nuageux peint à la façon des Dix Commandements.
Et c’est dans cette vision alliant l’univers de Pierre et Gilles à celui de David Lynch, figé à jamais par l’embarras et le malaise de l’enfant que j’étais, qu’allait alors se développer, se déployer, pour devenir protéiforme, une chose…
Tout un corps pourtant respectueux et dédié à sa môman, qui elle ne voyait ici que le fruit de ses entrailles, certes, mais béni au Nesquik…
La célébration sacrificielle du gros enfant, tel qu’il devait être et en espérant qu’il en serait toujours ainsi.
Amen…
PARTIE I
« Niort, Niort… Niort, deux minutes d’arrêt, Niort ! »
CHAPITRE I
Des espérances
Je m’imagine souvent sous un chêne gigantesque, sûrement cinq fois centenaire, symbolisant sagesse et opiniâtreté. Un décor rural, chatoyant, vrai, qui baigne dans une superbe lumière de coucher de soleil. Et moi, je suis debout, élancé et fort comme le cerf, fier comme Artaban, une main sur la hanche, l’autre en visière sur le front, contemplant un truc là-bas, au loin, je ne sais pas quoi mais qu’importe. Je le scrute en tout cas de manière concernée. Les yeux légèrement plissés, mon allure générale est altière, hiératique, probablement liée à ces bottes cavalières qui me donnent cet élégant maintien… Sous cet arbre qui me protège comme un père, une mère, un pape, j’exprime à moi seul le courage, la témérité, l’audace et un charme suranné mais cependant non feint.
… Peut-être que je peux rajouter à ce moment précis une avancée de caméra en contre-plongée. Ça devrait rendre l’ensemble pas mal. Il y a aussi une musique qui monte, le thème de Max Steiner…
Tout à coup, j’aperçois dans le ciel un nuage énorme et à la forme étrange. Qu’est-ce que c’est ? On dirait comme un, une… Mais… Mais c’est une bite ?!
En fait non, je ne suis pas Rhett Butler. Je serais davantage Scarlett O’Hara, cette petite pimbêche qui se croit insubmersible, belle et irrésistible. Une petite capricieuse impertinente. Je pense en fait que nous sommes toutes et tous surtout ce genre de petite connasse.
… Et la vie va d’une manière ou d’une autre, quand il le faudra, nous remettre les pendules à l’heure et s’il le faut, avec l’aiguille de la comtoise chauffée à blanc puis posée sur nos chairs tendres.
CHAPITRE II
La bonne aventure
Je consacre beaucoup de mon temps à me répandre dans les sciences divinatoires. Tous ces signes qui vont peut-être m’aider, me guider en me prenant par la main.
… Bon, en tout cas, j’ai toujours accordé énormément d’importance à la numérologie… Oui, une foi aveugle. Bien-sûr, je porte également beaucoup de crédit à l’astrologie, même si les signes chinois ne me laissent pas totalement indifférent. Quant aux calendriers aztèque ou Inca, j’avoue m’être déjà penché sur la question avec pertinence. Nous n’oublierons évidemment pas, dans ce précieux inventaire, les Runes, les osselets Mayas, le tarot de Marseille, les lois karmiques et les lignes de la main. Seront consultés également, mais dans une moindre mesure, les oracles, les énergies concentriques, le marc de café…
Je ne citerai pas toutes ces femmes, comme Tanya, Katia, Muriella ou Gabriella, qui me font sans arrêt part et j’en suis sûr, dans un réel souci d’altruisme et de désintérêt, de toutes leurs visions me concernant. Toutes ces femmes donc, sortes de sosies de Julie Pietri période « Eve, lève-toi », qui jonglent avec les astres et le cosmos tout entier. Elles me bombardent de mails, de SMS pour m’alerter que bientôt, là, tout de suite, quelque chose d’incroyable va venir tout remettre en cause dans mon existence… Et donc que je dois réagir MAINTENANT… Action – réaction !… Mais avant tout, appeler au 08 quelque chose à 10 euros la seconde ou bien déposer une offrande par carte bancaire dans l’un de leurs nombreux sanctuaires qui ont tous la forme d’un site internet.
Je veux un miracle, que ma vie change du tout au tout sans que je ne bouge un orteil, sans que je ne sorte de chez moi et que je ne me lève le cul… Alors pour cela, je dois sortir ma carte de crédit ! C’est en tout cas la condition souhaitée par toutes ces fées clochettes, afin qu’elles puissent mettre tout en œuvre pour que des éléments célestes, des puissances sacrées ou tout bonnement des forces extra-terrestres qui, après concertation, daignent peut-être réagir en ma faveur en m’accordant le bénéfice du doute.
… Vous ai-je déjà parlé de toutes ces méthodes que l’on trouve sous forme de livres, signés par des mages, des universitaires, des psychologues, des sages un peu Indous, un peu orientaux, et que l’on présente toujours en commençant par dire « Docteur » suivi d’un nom à forte émanation spirituelle. Tous ces philanthropes arborant vestes en tweed et cols roulés, dont les multiples ouvrages remplissent des rayons entiers dans les libraires Hachette, les gares, les aéroports ou les stations-services. Ils tiennent tous à peu près le même discours sur l’espèce humaine.
Cette formidable création de la nature, remplie d’amour et de lumière, qui doit toujours essayer d’être en harmonie avec l’infini. Ces concepts sur l’intention, des forces qui nous entourent et que l’on ne contrôle pas, mais que l’on peut en fait parfois contrôler quand même. Cela va dépendre du moment où on peut le faire ou pas, mais il faut lire le livre avant… Enfin, l’acheter. Positiver, sourire à la vie pour enfin devenir irrésistible, sans tâche et accessoirement millionnaire.
Jusqu’à présent, j’ai toujours fait intégralement confiance à toutes ces formes de pronostics, ces baromètres nominatifs qui ne s’adressent rien qu’à vous, à vous seul, en vous regardant droit dans les yeux tout en prononçant votre prénom et en vous disant que vous êtes quelqu’un de formidable, de spécial aussi. Oui… de rare… mince, je…
Avec toutes ces possibilités, si la vie n’est pas un triomphe, une suite ininterrompue de totales réussites… ?!
On se sent gonflé à bloc. Une montgolfière prête à l’envol.
… Mais cette possibilité de s’élever pour aller toucher les nuages est de courte durée. Cette impression d’euphorie, ce sentiment d’invulnérabilité qui rappelle les effets de la cocaïne, s’estompe rapidement et la joie se change en blues, un cafard visqueux et froid. Une main géante tenant une aiguille vient de percer la toile de mon embarcation volante.
« Allez ! », nous dit la voix de la petite connasse, « on se réveille, on ouvre bien les yeux en grand et on respire un grand coup ! »
Et c’est toujours la petite connasse qui a raison, finalement.
La tragédie de la vie, c’est de rire de l’autre quand on s’aperçoit trop tard que cet autre n’était que notre propre reflet.
Si vous avez suffisamment d’humour, vous prendrez alors tout pour une farce.
Si vous n’en avez pas, vous deviendrez pontifiant et grotesque.
Dans les deux cas, nous sommes de toute façon cernés.
« Les héros forgent des épopées.
Nous, nous ciselons des anecdotes. »