« Ghost in the Shell » est le titre anglophone d’une œuvre de science-fiction de Masamune Shirow, publiée entre 1989 et 1991, et qui donna lieu par la suite à de nombreuses déclinaisons, le plus souvent réussies. Afin de célébrer dignement le trentième anniversaire de la franchise de cyberpunk nipponne qui a popularisé le genre dans le monde entier, au point de devenir la référence ultime du genre dans la pop-culture de science-fiction, un tour d’horizon de « Ghost in the Shell » ainsi que des thèmes qu’elle aborde s’impose…
Ghost in the Shell, le film d’animation de 1995
Film d’animation à gros budget pour le Japon à l’époque, il est réalisé, en coproduction avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par Mamoru Oshii qui avait déjà travaillé sur d’autres longs-métrages d’animation, comme « Patlabor 2 ».
« Ghost in the Shell » garde l’intrigue principale du manga original sur le Puppet Master et se concentre d’ailleurs uniquement dessus. Pour la petite anecdote, le film a droit à une sortie française en 1996, dans quelques salles, et j’eus la chance de le voir à l’époque. Dès le générique, qui suit une scène d’action correspondant au premier chapitre du manga, on est frappé par le mélange des premières images de synthèse avec un dessin sur celluloïd particulièrement soigné, narrant la construction d’un cyborg, en l’occurence le major Motoko Kusanagi en personne.
Mais ce n’est pas tout… Le film (et le générique) est servi par une bande-son signée Kenji Kawai, utilisant à la fois des instruments traditionnels (tambours, clochettes) et des chœurs japonais, le tout rehaussé par des instruments modernes, comme le synthétiseur, pour donner une impression de froideur se mélangeant à des chœurs aux voix plus chaudes et plus aiguës, en particulier sur le générique (intitulé « making of cyborg »). Et cette bande-son qui s’avère presque envoûtante se marie parfaitement bien à l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow et le sublime, tant l’impression d’un conflit entre le Japon traditionnel et un avenir hyper-technologique transparaît dans le film.
« Ghost in the Shell » met intelligemment en exergue le questionnement du major sur son individualité et l’importance d’être un individu unique à la personnalité bien définie, dans un monde ultra-connecté par un réseau internet complètement hypertrophié (réalité virtuelle et augmentée). Mais dans les scènes du film, on voit surtout des ruelles étroites et délabrées inspirées par Hong Kong, des musées désaffectés, des personnes aux souvenirs modifiés par le pirate nommé le Puppet Master, donnant l’impression que malgré une haute technologie, une partie du monde se délite sous les yeux cybernétiques des héros. On retrouve d’ailleurs principalement les personnages du major Kusanagi et de Batō, mais aussi de Togusa et Aramaki.
Autre anecdote : on voit dans un passage du film de nombreux cyborgs ressemblant au major, montrant que le corps cybernétique qu’elle incarne est produit en série, ce qui accentue son besoin de se différencier en tant que personne vis-à-vis des autres. Cette scène n’est pas présente dans le manga, les corps cybernétiques étant « customisables » selon les désirs du cyborg.
La fin du film est presque la même que dans le manga, à la seule différence qu’elle se déroule dans un ancien musée d’histoire naturelle, lorsque le major affronte un tank arachnoïde qui lui tire dessus, détruisant au passage une peinture murale représentant l’arbre de l’évolution jusqu’à l’homme, en accentuant cette impression que l’humanité se flingue elle-même, avec toute cette cybernétique incontrôlée.
Lors de la scène finale, le corps cybernétique du major, qui a été particulièrement endommagé, est remplacé par un corps cybernétique d’apparence enfantine, pour lui permettre de survivre à l’assaut du tank et à sa fusion avec le Puppet Master, insistant sur l’idée d’un nouveau départ pour le major et d’une renaissance.
Petite anecdote, la voix française de Batô n’est autre que celle de Daniel Beretta, qui double habituellement Arnold Schwarzenegger (mimétisme volontaire de la part de la société de doublage, avec l’apparence du personnage ?).
Si le film est aujourd’hui une référence en matière de SF, en démontrant que l’animation est devenue un média à part entière, à maturité, ça a néanmoins bien failli ne pas être le cas. En effet, à sa sortie en 1995, le film marche mal au Japon, dont les habitants ne sont pas forcément les plus friands du genre Cyberpunk, mais il fonctionne en revanche très bien en Occident, malgré une distribution assez confidentielle. Les réflexions, le questionnement interne de l’héroïne, la maturité, mais aussi la musique et la beauté des images suscitent un excellent bouche-à-oreille chez les fans de science-fiction.
De plus, les ventes de vidéos permettent à Mamoru Oshii de rentrer dans ses frais et sauve le film. Ce qui lui permettra finalement de réadapter l’œuvre en série télévisuelle de 26 épisodes, et c’est un protégé de Mamoru Oshii, Kenji Kamiyama, qui s’y colle, avec comme objectif de toucher le public hors de l’archipel du Soleil Levant.
Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex, la première série
Cette série produite en 2003 a toujours comme cadre l’univers Cyberpunk de Masamune Shirow, ce dernier étant consultant artistique et designer. Même si « Ghost in the Shell: The Stand Alone Complex » semble se dérouler avant le film, dont l’action se situe en 2030, cette première série se passe quant à elle en 2032. Ce qui en fait plus un remake qu’une préquelle, avec les mêmes personnages au générique que dans le manga.
Le format étant plus long – 26 épisodes de 30 minutes chacun – les personnages sont plus fouillés que dans le film et le manga, permettant des scénarios variés aux intrigues policières solides, mettant parfois en avant un des membres de l’équipe en particulier. C’est au studio Production I.G. que la mise en scène des aventures des cyborgs de la Section 9 est confiée.
Côté musique, c’est l’excellente Yōko Kanno, forte de son succès avec la série « Cowboy Beebop », qui nous délivre une bande-son éclectique, allant de la techno au jazz, et permettant à chaque personnage et à chaque scène d’avoir ses propres identité et saveur.
La série bénéficie même d’un budget doublé, par rapport aux séries d’animation de l’époque (environs 300.000 dollars par épisode) et il faut bien admettre que cela se voit, même encore en 2020. Et le succès sera mondial…
Dès le début de la série, on assiste à l’arrivée de Togusa, ancien policier, au sein de la Section 9. L’idée dans cette intégration, c’est de se servir de ce personnage pour introduire le spectateur à l’équipe de cyborgs de la Section 9. Togusa se révélera être le membre le plus humain de la section, et c’est un personnage auquel les spectateurs pourront plus facilement s’identifier. De surcroît, Togusa est marié et père d’un enfant, tandis que les cyborgs comme Motoko et Batô ne peuvent se reproduire, même s’ils ne sont pas asexués, ni même dépourvus de sexualité.
Après quelques épisodes d’introduction à la série, durant lesquels la Section 9 affronte espions et terroristes, on passe ensuite aux épisodes qui, comme dans le manga, vont entretenir un fil rouge. Un pirate informatique nommé « Le Rieur », cette fois bien humain, pirate les cyber-cerveaux de ses victimes pour dénoncer un scandale politico-financier, et la Section 9 essaie de tirer les choses au clair, dans cette affaire impliquant un ministère entier. Le complot sera dénoncé et le scandale mis au jour, non sans l’aide du Rieur, dont le nom et la phrase d’introduction – « I thought I had to pretend that I was one of those deaf-mutes » – sont inspirés d’un livre de Salinger.
Dans la série, outre des scènes d’action très réussies et des histoires qui ne figurent pas dans le manga original, les scénaristes prennent le temps et la peine de donner un passé aux personnages principaux. Par exemple, Motoko Kusanagi est un cyborg depuis l’enfance, suite à la contraction d’une maladie dégénérative. Quant à Batô, il est un ancien soldat qui s’est battu dans les jungles d’Asie, et ce passé remontera à la surface lorsqu’il poursuivra un tueur en série.
Contrairement au manga, chaque personnage a son Origin Story, et tous voient leur passé exploré et révélé, pour la plus grande joie du spectateur, en donnant aux personnages ce petit supplément d’âme caractéristique de l’œuvre.
Si l’atmosphère de certains épisodes est parfois lourde (on parle d’exploitation, voire parfois de maltraitance…), la série passe aussi par des moments comiques, avec en particulier les robots arachnoïdes dits « Tachikoma », des intelligences artificielles s’exprimant comme des enfants, et découvrant le monde avec la Section 9. Même si les Tachikoma sont le « Comic Relief » de la série, ils n’hésitent pas à prendre part à l’action si besoin est, et ils évoluent au cours de la saison, en développant un ghost.
Aujourd’hui, on peut raisonnablement affirmer que cette série est LA référence absolue en matière de Cyberpunk, tant le soin extrême apporté aux scénarios, à la musique ou aux dessins, semble définir l’oeuvre.
Ghost In The Shell 2: Innocence, le second film sur la franchise
C’est en 2004 que la suite du film de 1995 sort sur grand écran, et sera même présentée à Cannes, démontrant à tous ceux qui en doutaient encore qu’on assistait à un début de reconnaissance de l’animation japonaise.
Chose très importante à noter, c’est toujours Mamoru Oshii qui est aux commandes de ce nouvel opus, permettant ainsi une continuité évidente avec le premier film, « Ghost in the Shell 2: Innocence » en étant la suite directe. Et Batô en est cette fois le héros principal.
Quant au scénario, il pioche dans plusieurs des histoires parallèles du manga, en particulier avec l’intrigue du Puppet Master, tout en les remaniant afin de rester dans la continuité du film de 1995. La Section 9 s’avère être très peu remaniée, et seule l’arrivée du personnage original d’Azuma apporte un léger changement à la constitution de l’équipe originelle.
L’histoire de ce deuxième volet oppose donc la Section 9 à des robots qui se mettent soudainement à éliminer leurs propriétaires. Mais avant de s’en prendre à Batô, l’un des androïdes crie « aidez-moi », ce qui est somme toute assez inattendu. La Section 9 est sur le coup, car les androïdes défectueux s’avèrent être des « sexaroïdes », à savoir une classe d’androïdes qui répondent à tous les désirs de leur propriétaire. Nul besoin de deviner de quels désirs il s’agit…
La piste suivie amène la section jusqu’à un Hong Kong futuriste, où l’on découvre que la chaîne de montage des robots-à-usage-intime copie le ghost de jeunes filles et le charge dans le processeur afin de rendre les robots plus « attachants » (même dans le futur, il y a des gens atteints…). Le sauvetage des jeunes filles entraîne la libération fortuite des androïdes, avant qu’ils n’attaquent Batô, qui ne devra son salut qu’à l’intervention du major Motoko Kusanagi. Celle-ci se télécharge dans une des sexaroïdes pour un assaut final, expliquant au passage qu’elle est désormais un esprit qui se balade dans le monde virtuel du Réseau et joue le rôle de l’ange gardien de Batô.
Outre une animation encore plus peaufinée que sur le précédent opus, les détails fourmillent dans ce deuxième volet au cinéma, au point de nécessiter plusieurs visionnages, « Ghost in the Shell 2: Innocence » étant très dense, parfois trop… Il s’impose néanmoins comme un véritable festival de couleurs, où la 3D et les images entièrement générées par ordinateur s’incrustent dans le film de façon souvent très réussie, mais aussi de manière parfois trop évidente, sans parler d’un scénario mêlant références religieuses (Animisme et Christianisme), philosophiques et technologiques.
Pour ce qui est de la musique, Kenji Kawai est de nouveau mis à contribution et nous livre une composition encore plus recherchée, notamment lors du combat final, volontairement très proche du générique du premier film, avec encore la fameuse utilisation des chœurs japonais (ainsi que des chœurs de chorale à l’occidentale, pour les oreilles les plus attentives).
Comme dans le premier opus, cette suite n’oublie pas la métaphysique, comme nous l’évoquions plus haut, et est remplie de citations d’auteurs, notamment occidentaux (Descartes, pour ne citer que lui), mettant en exergue le blues de Batô, à qui le major manque finalement, laissant un vide pour le personnage comme pour le spectateur. Une fois l’affaire classée, Motoko Kusanagi retourne sur le net, telle l’ange-gardien une fois sa mission terminée, même si cette vision nous laisse entendre que l’on pourrait la revoir un jour…
Il est parfois dit que Mamoru Oshii aurait mis ses inquiétudes et réflexions personnelles sur le futur dans ce film, d’où une oeuvre très dense et touffue, qui peut parfois perdre le spectateur, et nécessite qu’il soit extrêmement attentif, sous peine d’être rapidement désorienté, ne percevant plus la direction prise par le réalisateur.
Les références mythologiques, ésotériques et littéraires abondent, dans un tourbillon parfois difficile à suivre (notamment sur le Golem, être artificiel issu des croyances juives). Les références cartésiennes (l’âme humaine est « placée » dans un corps qui fonctionne comme une machine) s’opposent à celles qui stipulent que l’âme humaine est le fruit de la complexité de son corps et de son cerveau. Mais néanmoins, ce film mérite une redécouverte, vu la densité et le nombre de thèmes abordés.
Ghost in the Shell: the Stand Alone Complex, 2nd Gig
Derrière ce titre assez long se cache la seconde saison de la série d’animation, où l’on retrouve toute l’équipe de la saison 1, ainsi que les Tachikoma qui apportent toujours leur dose de réflexions comiques.
Dans cette saison, suite au scandale que la Section 9 a révélé au grand jour, le gouvernement change et le premier ministre avec (madame la premier ministre devra même être protégée par la section dans un des épisodes). Suite à une prise d’otage réglée avec succès par le major et son équipe (à moins que ça ne soit Aramaki et son équipe), la Section 9 est réintégrée de manière officielle dans le ministère.
Aux commandes de la saison, on retrouve le même staff que celui de la première saison et Yoko Kanno crée une bande-son tout aussi réussie que pour la précédente.
De nombreux épisodes contiennent d’ailleurs des clins d’œil à d’autres œuvres, telles que « Taxi Driver », « Les Ailes du Désir » ou encore le manga « Cat’s Eye ».
Cette fois, le fil rouge de la série mêle le thème du nationalisme au complot politique, tant à l’intérieur du pays qu’au niveau international, sur fond de crise migratoire (thème étonnamment actuel, alors que la série a été produite en 2004), avec un groupuscule nationaliste inspiré de celui qui avait tenté un coup d’état au Japon le 15 mai 1932.
Là où l’intrigue devient plus dense et plus complexe, c’est que le complot se sert de fanatiques religieux (les 11 individuels) comme de pions. L’un des buts des fanatiques et de ceux qui les manipulent est l’anéantissement des réfugiés (d’origine asiatique) et du ghetto dans lequel on les a installés.
La série aborde ainsi des sujets qui peuvent entraîner une certaine controverse, et on découvre d’ailleurs que chaque membre de l’équipe a un avis différent sur la question, ce qui ne les empêche pas d’agir avec professionnalisme. Dans cette seconde saison, la géopolitique revêt plus d’importance.
Par exemple, on avait appris que les Etats-Unis d’Amérique étaient scindés en deux, les Etats-Unis à proprement parler et l’empire américain qui regroupe les états du Sud. Au passage, cette seconde saison raconte également le « passé » de ce monde futuriste. Dans un épisode, on nous raconte comment Motoko, alors soldat, a recruté Saito, au coeur d’un conflit mondial. Cette saison permet de creuser un peu plus dans le passé des protagonistes, notamment celui de Paz, l’ancien Yakusa.
Autre sujet abordé, la place d’un androïde (le nommé Proto), à l’intelligence artificielle suffisamment développée pour passer pour un être humain. En effet, ce dernier est un prototype qui essaie de se faire passer pour humain. Proto a peur de dévoiler sa vraie nature, craignant d’être rejeté par ses collègues de la section 9, ayant surtout affaire à des androïdes au comportement trop prévisible ou enfantin.
Ce détail scénaristique fait écho au phénomène psychologique parfois controversé dit de la « vallée de l’étrange ». Un robot est accepté par les humains, soit s’il est d’apparence très éloignée de celle des humains, comme les Tachikoma ou R2-D2 de Star Wars, ou au contraire d’apparence très humaine comme Proto. Entre les deux, un robot n’ayant pas une apparence « assez » humaine peut provoquer, d’après les tests, un sentiment de rejet, voire de peur. L’endosquelette androïde du Terminator en étant un parfait exemple dans la fiction (même si c’est volontaire de la part des scénaristes et de James Cameron de lui donner cette apparence macabre).
La série se referme sur une Motoko Kusanagi au cœur brisé (l’un des fanatiques était un amour de jeunesse). Quant aux Tachikoma, ils se sont sacrifiés pour permettre le succès de l’équipe et ils sont remplacés par les Fujikoma (un clin d’œil au manga)…
« Ghost in the Shell, quand le cyberpunk du Soleil Levant devient une référence mondiale – Partie 3 », à lire très prochainement dans le Magazine Instant City…