On pourrait dire qu’il y a trois parties distinctes dans « Daft Punk Unchained », réalisé par Hervé-Martin Delpierre pour Canal+ : la première concernerait les débuts du groupe, lorsque les musiciens avaient 17/18 ans et qu’ils découvrirent la musique électronique à l’occasion d’une rave-party organisée sur les toîts de Beaubourg.
La seconde retrace leur ascension et leur carrière, avec pour point culminant le concert du Festival de Coachella en 2006 dont les images feront le tour du monde et le buzz sur internet, en raison du spectacle hallucinant à l’époque d’une pyramide de leds joignant le son à la lumière.
La troisième explique leur processus de création, leurs influences piochées dans leur engouement pour les années 1970 et le disco en tant que musique à faire danser un public. Professionnels, musiciens, producteurs, DJ, managers, opérateurs se succèdent pour expliquer la maîtrise et le talent des Daft Punk.
On comprend bien la naissance, la montée en puissance et la consécration par le public du courant de la musique électronique. On ressent l’admiration des professionnels pour le travail des Daft Punk. Il ne s’agit pas d’argent ni de succès, encore moins de notoriété, mais bien du plaisir de faire de la musique, de la volonté d’innover et de prendre son temps pour faire de chaque disque un moment d’exception.
On boit les paroles de Thomas Bangalter lors d’interviews radio. On adore les quelques images du début quand ils sont encore gamins. On voudrait que celles-ci durent plus longtemps, celles où on les voit mixer. Le film aurait dû et pu être plus long (1h26 minutes) pour prendre davantage le temps de raconter la légende. Certains mystères Daft Punk sont bien pris en charge et traités avec patience comme l’histoire des casques. Toute la séquence dans les ateliers de Los Angeles est passionnante. D’autres sont survolés, comme leur traversée du désert en 2005 après la sortie de leur 3ème album « Human After All », enregistré en seulement 12 jours, sans aucune promotion, et qui marque un retour à une musique plus minimaliste.
Il manquerait une place un peu plus importante au son. On aurait aimé des passages plus longs de morceaux entiers de musique en live, des extraits d’émissions ou de concerts. Toute la partie mix de leurs sets en tant que DJ est superficiellement survolée. Aucune référence n’est faite à leur sacre en 2006 de meilleurs DJ du monde par le magazine « Mixmag ».
Rien non plus sur le terreau musical familial qui leur servit d’engrais : comment ils se sont connus (sur les bancs du lycée Carnot en 1986 à Paris), comment ils ont rebaptisé leur groupe (à cause de l’article d’une journaliste anglaise qui qualifia leur premier single de « daft punky trash », c’est-à-dire de musique de timbrés). Seule une allusion furtive est faite au papa de Thomas, Daniel alias Daniel Vangarde, producteur de disco (on dit des Daft Punk qu’ils ont inventé le « disco moderne ») dans les années 1970 qui a travaillé avec Ringo et Sheila, écrit les paroles de la Compagnie Créole et enregistré à Paris l’album d’Eddie Johnes, « More Spell On You » qui est à l’origine du sample de « One More Time ». Ce qui explique la naissance chez Thomas de sa vocation musicale, de son coup de foudre pour la musique électronique (prolongement moderne des soirées danse Disco) et de son professionnalisme en termes de plan de carrière.
« J’habitais chez mes parents, et j’avais eu de l’argent pour mes 18 ans, 7.000 ou 8.000 francs qui m’ont permis d’acheter un synthétiseur juno-106 et un petit sampleur Akai S01, avec une simple sortie mono. Mon père m’avait, par ailleurs, donné un Minimoog et on avait récupéré un séquenceur, une console de mixage et un petit compresseur. J’avais branché le tout sur un ghetto-blaster que je possédais depuis mes 11 ans. Tout était installé dans ma chambre, sur une table à tréteaux, et j’avais déménagé mon lit dans la chambre d’amis.
Sur nos premiers morceaux, on n’arrivait pas du tout à faire ce qu’on voulait. On essayait de copier quelque chose sans y parvenir. On aimait les disques américains de Chicago et on essayait de recréer ça. Finalement, c’est le résultat de ce qu’on n’a finalement pas réussi à faire qui est devenu séduisant. » (Les Inrockuptibles – 2013)
Un reportage sur les Daft Punk, on en rêvait. Alors on reste sur notre faim, forcément. On aurait tant voulu en voir et en savoir plus. Une interview des protagonistes par exemple.
Alors, pour prolonger le plaisir et se noyer dans les beats et la sueur comme au bon vieux temps ou presque, le groupe aux cinq Grammy Music Awards (une première dans l’histoire de la musique électronique) sera bientôt en concert au Stade de France le 23 juin 2017 dans le cadre de sa tournée « Alive 2017 ». Ils n’ont pas joué en France depuis 2007…
Article de Stéphane Jourdain pour Slate
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