Le 130ème anniversaire de la naissance de Charlie Chaplin donne lieu à d’innombrables commémorations de par le monde. En France, dix de ses films ressortent en salle, de « La ruée vers l’or » aux « Temps Modernes », ainsi qu’une compilation de ses meilleures bandes originales, toutes composées par lui-même. Le réalisateur et acteur, mort en Suisse en 1977, aura créé des oeuvres majeures, mêlant humour, poésie et parfois même politique, alliés à un exceptionnel sens du rythme.
Icône absolue du muet, 42 ans après sa mort, Charlie Chaplin reste le personnage de cinéma le plus mythique au monde. En 65 ans de carrière, cet entrepreneur touche-à-tout aura joué, réalisé, scénarisé et produit plus de 80 films. Et il en a aussi composé les musiques… Car ce qu’on oublie parfois, c’est que l’acteur britannique avait le rythme et la mélodie dans la peau… Ce qui lui valut, en plus des deux Oscars d’Honneur, un troisième pour la musique de son film « Les Feux de la Rampe » en 1952.
« Les Feux de la Rampe » (titre original : « Limelight »), avec Charles Chaplin, Claire Bloom et Buster Keaton, est le chef d’œuvre testamentaire de Charlot, redevenu Chaplin pour l’éternité… Le final est d’une beauté poignante avec la gracieuse Claire Bloom, ballerine tournoyant au son des accords nostalgiques de la mélodie « Limelight » composée par Chaplin lui-même…
« Ses deux parents étaient chanteurs, et n’ayant pas beaucoup d’argent, ils traînaient leur petit partout. Très jeune, Charles intégra la Eight Lancashire Lads, une troupe de danseurs à sabots composée de huit petits garçons. » (Kate Guyonvarch, directrice du Bureau Chaplin)
Avec ses premiers cachets, Charles Spencer Chaplin s’achète donc un violon, puis un violoncelle, qui ne le quitteront plus… Dès qu’il a un moment, il s’entraîne en coulisse, en espérant un jour pouvoir en tirer un revenu complémentaire.
« Chaplin avait une oreille incroyable. Ça saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, dans le discours du « Dictateur ». Il a créé pour le film une langue qui ressemble de très près à de l’Allemand, mais qui n’en est pas. » (Kate Guyonvarch, directrice du Bureau Chaplin)
Comme Chaplin ne sait ni lire ni écrire la musique, il s’entoure d’arrangeurs professionnels qui retranscrivent ses compositions instinctives sur partition. Il n’est jamais allé au Conservatoire, et pour cause… Chaplin, son école, c’est l’école de la rue. Alors, les mélodies qu’il imagine donnent finalement une musique qui vit, qui vibre au même rythme que son jeu à l’écran et sa manière de faire du cinéma.
« Quand Chaplin avait une scène en tête, il savait très précisément ce qu’il voulait entendre à ce moment, pour soutenir et accompagner cette scène. Lorsqu’il disait à l’orchestre qu’il voulait que ce soit joué de cette façon, et que les musiciens tentaient de lui expliquer que ça ne pouvait pas se jouer comme ça, Chaplin pouvait avoir tendance à s’agacer et à exiger que ce soit joué comme il le souhaitait… » (Kate Guyonvarch, directrice du Bureau Chaplin)
Le pire de tout cela, c’est que lorsqu’il s’agissait de musique, Chaplin avait souvent raison… Car il avait non seulement un sens inné de la composition, mais aussi du rythme. Son jeu s’appuyait sur une chorégraphie millimétrée ; un savant mélange d’humour et d’émotion. Cette rythmique passait déjà par son propre corps, ainsi que par les éléments ou les accessoires qu’il était amené à utiliser pour cadencer chaque scène. Charlot sur la chaîne de montage dans « Les Temps Modernes » (1936), Charlot face au policier dans « Le Kid » (1921), Adenoïd Hynkel dansant avec la mappemonde dans « Le Dictateur » (1940), et évidemment la danse des petits pains dans « La Ruée vers l’Or » (1925), qui reste sans doute l’exemple le plus emblématique…
Charlie Chaplin jouait avec tout ce qui pouvait lui tomber sous la main, des personnages au cadrage, en passant par la musique ou les mouvements de son propre corps à l’écran. Mais tout était réalisé en contrôle, et réglé au cordeau. En 1916, le grand danseur Nijinski est invité par Chaplin à assister au tournage d’une scène de l’un de ses films. A la fin de la prise, Chaplin demande à Nijinsky ce qu’il en a pensé, et Nijinski lui rétorque : « Mais vous n’êtes pas un acteur… Vous êtes un danseur ». Cette rencontre inspira à Chaplin son film « Une idylle aux champs » (Sunnnyside, mai 1919).
Chaplin danse, compose ; il ne lui manque plus que la parole. Mais il faudra attendre encore près de dix ans après l’avénement du cinéma parlant pour entendre le son de sa voix… La première fois qu’on entend la voix de Chaplin, c’est en 1936 dans « Les Temps Modernes », pourtant considéré comme le dernier film muet de sa filmographie, et d’ailleurs le dernier film dans lequel apparaît le personnage de Charlot.
Chaplin a composé une mélodie pour le film, « Je chercher après Titine, … ». Cette scène donnera un sketch évidemment hilarant, dans lequel Charlot opère sa métamorphose, en devenant non seulement chanteur, puisqu’on entend pour la première fois le timbre de sa voix, mais aussi musicien et pantomime. C’est avec ce film qu’on découvre que Chaplin n’est pas simplement un acteur, mais un tout…
Avec l’épilogue des « Lumières de la Ville » (1931), Charlie Chaplin prouve au 7ème Art qu’il règne aussi en maître sur le mystère de nos émotions.
« Je défie n’importe qui de regarder cette scène, même s’il n’a pas vu le film en entier, sans avoir la larme à l’oeil, tant le violon appuie magnifiquement la scène. Chaplin a atteint une telle perfection dans tous les domaines qu’il parvient à contrôler toutes nos émotions… » (Kate Guyonvarch)