Pour tous ceux qui n’ont jamais aimé Michel Legrand, à qui la musique de « Peau d’âne », des « Demoiselles de Rochefort » ou des « Parapluies de Cherbourg », ou plus encore cette voix, lorsqu’il lui arrivait de pousser la chansonnette derrière son piano, provoquent des crises d’urticaire aigües…
Pour tous ceux qui abhorrent celui qui avait comme amis Jacques Demy, Quincy Jones et Henry Mancini, dont le timbre de voix mélodieux et juvénile, tout comme son physique, exprimait une certaine candeur… Vous tous qui n’avez jamais cherché plus loin, simplement parce que plus loin, c’est plus tôt, à l’époque où l’on découvrait toute l’audace qui collait aux partitions de ce jeune pianiste, qui débuta comme arrangeur pour Maurice Chevalier, Henri Salvador, Catherine Sauvage, avant de collaborer avec les plus grands noms du jazz, de Dizzy Gillespie à Miles Davis, en passant par John Coltrane ou Bill Evans…
Je dirais ceci… S’il-vous-plait, avant toute chose, faites juste l’effort de réécouter la musique du film « L’Affaire Thomas Crown » de Norman Jewisson, avec Steve Mac Queen et Faye Dunaway. Et avant de geindre, de gesticuler, laissez-vous envahir par ces sons sophistiqués et suaves et rendez-vous à l’évidence…
Cette musique-là, celle de ce film à la notoriété au demeurant très surfaite, permet de juger sur pièce de l’immense talent de Michel Legrand, de l’onctuosité de son swing et la puissance d’évocation de ces différents thèmes. Toute cette maîtrise est la preuve intrinsèque, de celles qui propulsent le compositeur des « Moulins de Mon Cœur » dans la courte liste des élus, entre Lalo Schifrin, Ennio Morricone et John Barry.
Car ce mélodiste hors pair est aussi un chercheur méticuleux de nouveaux sons. Et ce n’est pas pour rien que les années 60 lui ont servi d’écrin, lorsque Godard, Varda, Losey, Jewisson ou Demy le sollicitaient pour faire vivre un peu plus leurs films.
Michel Legrand ne s’est jamais contenté de suivre la tendance, comme il ne s’est jamais permis de proposer indéfiniment la même chose. Pour chaque nouveau projet, il abordait son travail et ses recherches, avec comme unique but celui de surprendre. A l’aise au début de sa carrière dans le jazz, il pourra ensuite, avec une facilité déconcertante, s’entourer d’orchestres symphoniques pour les besoins d’un film d’époque, d’un thriller ou d’un grand film d’action.
Alors oui, comme beaucoup de compositeurs ayant tutoyé les anges dans les années 60 et 70, les 80’s auront aussi été fatales à Michel Legrand. Ses quelques collaborations avec Claude Lelouch s’avéreront être la limite qu’il n’aurait pas dû franchir.
Ici et là parfois, resurgiront pourtant encore quelques pépites. Dans le film « Parole et Musique » d’Elie Chouraqui, devenu sujet à moqueries et ricanements, on se souvient avant tout de ces chansons qui sonnaient très Christopher Cross et qui déjà à l’époque paraissaient désuètes. Pourtant, on y trouve aussi quatre ou cinq magnifiques pièces au piano. De ces petites fugues qui ravivent alors tous le romantisme échevelé et en même temps intime dont était capable Michel Legrand.
Mais replongez maintenant dans la luxuriance musicale de ces chères années 60 et c’est aussitôt la magie qui opère, un bonheur à chaque note. Une musique à faire chavirer les étoiles…
Michel Legrand sera toujours immense, précieux, généreux et scintillant, « comme un manège de lune avec ses chevaux d’étoiles, comme un anneau de saturne, un ballon de carnaval, comme le chemin de ronde que font sans cesse les heures, le voyage autour du monde, d’un tournesol dans sa fleur. Tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon cœur ».