A l’heure sonnante où trébuchent dans la médiocrité du rire facile moult comédies françaises, fussent-elles concoctées pour les « jeunes », la cible idéale (« Profs », « Profs 2 », « Robin des Bois », « Aladin » et bientôt sa suite avec son parangon Kev Adams), ou sociales (« Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ? »), sans oublier le dégoulinant « Intouchables », toutes se vautrent dans une certaine facilité où l’histoire et le scénario ont été remplacés par une enfilade de punchlines et de gros gags sexistes, communautaires ou homophobes, le tout pétri de références télévisuelles. Aucune ambition autre que l’immédiateté du moment, du présent, de là, maintenant, à l’instant. Mais ces films sont souvent aussi de très gros succès. On a donc les comédies que l’on mérite avec son temps.
Essayons malgré tout de remettre tout cela en perspective et remontons donc au début des années 80. « L’ère Pierre Richard » finissait… Yves Robert, après Gérard Oury, n’avait plus le monopole du rire en France. On découvrait la troupe du Splendid et ce nouveau genre d’humour plus acide, percutant et vachard. « Papy Fait De La Résistance », c’est un peu l’apogée de leur style d’humour, avec cette manière de décortiquer et railler la mentalité française, sa veulerie, sa mesquinerie, et de cristalliser le tout dans un sujet parfait pour cela : L’occupation ! Rien ne se prêtait mieux en effet que cette époque trouble de l’occupation allemande pour exprimer tous les travers de ce bon vieux peuple gaulois.
Le film qui sort en 1983 est un énorme succès, équivalent à celui des « Visiteurs » une dizaine d’années plus tard. Ce qui est intéressant de noter, c’est l’évolution ou la recherche de l’élément prédominant de ce que sera un succès, une recette, la martingale. Une comédie n’est pas conçue pour être appréciée trente ans plus tard dans des Ciné Clubs. Tout est mis en oeuvre pour cartonner dans le présent. Les navets actuels (« Profs », « Aladin », etc) ont accéléré le processus et se désagrègent de votre cerveau dès que vous avez quitté la salle.
Si vous re-re-voyez et comparez les deux films (« Papy » et « Les Visiteurs »), tous deux réalisés par Jean-Marie Poiré à dix années d’intervalle, alors vous obtiendrez le résultat suivant : « Les Visiteurs » se revoit assez difficilement, malgré le talent de Valérie Lemercier qui surnage dans cette tambouille faite d’anachronismes lourdingues et de situations surlignées dus à un scénario prétexte et surtout grossier, le tout emballé dans une réalisation pour téléfilm. En revanche, « Papy Fait De La Résistance », concocté et conçu comme un film à gros budget, reposait quant à lui sur un scénario complètement délirant, entre esprit BD et farce à la Blake Edwards. En exploitant la période de l’occupation puis en passant tous ses clichés dans le laminoir du Splendid, on accouchait d’un film qui aujourd’hui encore étonne par son audace et sa folie.
C’est un des rares films aussi où l’accumulation de têtes d’affiche, aux apparitions même très brèves, fonctionne parfaitement. Le télescopage entre ancienne et nouvelle génération nourrit le film et lui apporte une ampleur supplémentaire. Mais c’est surtout Jacqueline Maillan et Gérard Jugnot qui y sont en état de grâce. Jugnot est dans le même registre qu’avec le « Père Noël », soit celui d’une ordure absolue. Il compose un collabo, petit chef hystérique de la Gestapo, totalement orgasmique. Jacqueline Maillan, impériale, en cantatrice dingue et digne. Le film collectionne ainsi des répliques devenues cultissimes. Clavier, Lamotte, Giraud derrière, sont très inspirés aussi.
Une sorte d’alchimie, de mayonnaise, qui prend tout de suite et entraîne le spectateur dans ce grand défouloir, une vraie récréation. Jean Marie Poiré inspiré ou habité retrouvera ce niveau de talent avec « Mes Meilleurs Copains » au début des années 90, mais plus jamais ensuite. « Papy Fait De La Résistance » clôt ainsi un âge d’or de la comédie à la Française. Quand il y avait d’abord un vrai et bon scénario pour pouvoir ensuite rajouter tout ce que chacun des acteurs pouvait insuffler comme proposition de folie.
On a toujours un certain plaisir à revoir les De Funès, Bourvil et autres grandes comédies françaises qui ont jalonné notre enfance. Notre paysage télévisuel devient à chaque fois comme un pèlerinage, une politesse. Avec Papy… C’est autre chose, c’est différent. Le rire est presque vertical. Le plaisir que l’on prend n’est plus fédérateur mais juste un bonheur pour soi. Cet humour que l’on a retrouvé plus tard chez les frères Farrelly ou Judd Apatow, une euphorie totale, enveloppante.
Le genre de film qui est habité, hors norme… Et devenu de toute façon aussi un classique.
Hubert Touzot : Photographe dévoreur d’images